samedi 11 août 2007

VODOU

LA PSYCHOTHÉRAPIE AU SECOURS

Des personnes aux prises avec des problèmes de:
"Tèt chagé"

"Tout dékompozé"

"KrazéÈ

"Pwoblèm loa kimbé yo"

"Pwoblèm mystè"

Pierre Eddy Constant

***
Il interprète le vodou pour mieux saisir la maladie lwa. La maladie « lwa » (loa) est associée à l’institution du vodou et fonctionne en dehors de la relation complémentaire et dualiste établie entre la maladie « dyab » et la maladie « bon dyé ». Le bon sens de la culture créole qui oriente l’action sur les choses de la maladie joue un rôle important dans la détermination de la signification.

C’est par l’activité de son « gwo-bon-nanj » que le vodouisant, pendant son sommeil, « voit » le diagnostic, l’étiologie et le traitement à appliquer dans des situations de maladie. Dans ces aventures oniriques le « gwo-bon-nanj » est en dehors du corps et peut se faire capturer et servir dans la production de procédé magique.

Pour le vodouiste, le corps est sien sans être lui. Il entre en unité subtantielle avec le « bon-nanj » pour former le « krétyin vivan », la personne, dont il est l’élément de moindre durée, la part caduque, parce que de densité ontologique plus faible.

Toutefois, implanté dans la texture du « bon-ang », il devient l’espace d’une géographie mystique. En effet, le « ti-bon-ang » c’est à dire le dieu protecteur réside dans la tête. La vie a son point de condensation dans le foie et le sang. Le dieu sort de la personne par les fontanelles.


La médecine créole établit des rapports de cause à effet pour répondre au pourquoi de la maladie (le diagnostic), à son comment (l’étiologie) et pour la traiter.

La médecine créole fonctionne aussi sur une logique symbolique à partir de laquelle elle induit des causes à la maladie. Les désirs et les croyances sont les deux positions d’interprétation des causes inférées qui s’articulent l’une à l’autre. Ces deux positions entremêlées dans l’interprétation des événements et dans les stratégies d’action sont importantes à différencier pour mieux mesurer la distance qui les éloigne ou les rapproche de la logique de l’empirisme. (J. Tremblay, mère, pouvoir et santé en Haïti) . Dieu, les saints, les loas, les esprits sont inférés comme cause des maladies et des guérisons selon les effets produits dans des relations avec l’autre. Dans l’ordre de la logique symbolique que les résultats du diagnostic, de l’étiologie et du traitement font appel à la véracité.

Autre caractéristique de la médecine créole, comme du vodou, est dans son art des mélanges en tant que dispositif d’appropriation. Dans leur interprétation de la maladie, le vodouisant procède à sa catégorisation qu’il lie à la lutte qu’il mène pour reprendre sens dans un contexte de vie traditionnelle tendu à l’extrême par les paradoxes. Trois catégories de maladie induisent les stratégies de guérison dans lesquelles prennent place des moyens thérapeutiques orientés et identifiés par un « bon sens » et un « sens commun ».

Dans l’interprétation de la maladie, l’individu n’est pas interpellé en tant que responsable. Les causes de la maladie sont attribuables à l’action néfaste de l’Autre et c’est sur le fond de cette scène qu’entre en jeu le lwa. Et les causes de la maladie attribuables au destin mettent en scène Dieu. Sur l’une ou l’autre des ces mises en scène, la personne en tant qu’individualité disparaît sous le poids de ces absolus.

L’être humain est gouverné par deux grandes forces spirituelles : le Gros Bon Ange et le Petit Bon Ange et, une force matérielle que nous appelons corps. Cependant en Haïti, une autre difficulté surgit du fait de l’intervention d’une troisième Force Spirituelle qui joue un rôle considérable dans la vie sociale haïtienne, « Le Maître Tête ». En effet, « le Maître Tête » embrasse toutes les activités du croyant depuis la grossesse, les relevailles et la naissance de l’enfant, ses premiers bains, ses premiers vêtements, son baptême, sa vie scolaire, sa première communion, son adolescence, sa majorité, ses fiançailles, son mariage. Cette Force Spirituelle suit enfin le croyant du berceau à la tombe et même par-delà la tombe. Son travail révèle qu’un hougan administre souvent un bain magique à un bébé fraîchement baptisé dans un sanctuaire catholique. Il révèle aussi que pour communiquer à ce même bébé les dons ou les difficultés des divinités vodouesques, il lui fait toucher avec sa langue les différentes pierres sacrées qui ornent le houmfor du hougan. Aussi, la pierre brune de Silibo Nouvanou incarne-t-elle, d’après la tradition, la voyance. Maintenant, quel est le rôle du « Maître Tête » dans le rêve? Une étude psychologique avancée nous permet de faire la déduction suivante : dans le rêve, Le « Maître Tête » est l’esprit conducteur. Il entraîne le Gros Bon Ange et lui confie le secret de l’avenir en lui faisant vivre les événements futurs favorables ou défavorables. Assez souvent, le serviteur, (cheval ou véhicule), peut ignorer l’identité de son « Maître Tête » pour deux raisons. Tantôt il se trouve parmi les 20 ou 30 esprits qui le dominent sans pourtant s’affirmer, tantôt il ne s’y trouve pas du tout, il ne « danse pas dans la tête du sujet bien qu’il demeure son premier et plus puissant protecteur ». Cette force spirituelle peut s’identifier assez tard, en face d’un danger, au cours d’une cérémonie vodou. Chez les enfants, elle peut se faire connaître durant la période préscolaire dans certains cas.

Ce sont deux forces distinctes, on ne peut remplacer l’une par l’autre. Cette dualité de synergie spirituelle trouve son équivalent dans ce que les psychistes appellent : l’âme et l’esprit. Le souci de fournir un travail aussi précis que raisonnable nous enhardit à comparer les entités spirituelles selon une conception européenne claire et tentante et une conception populaire haïtienne hardie et originale.



D’après ce petit tableau, le Maître Tête et le Gros Bon Ange seraient pour l’haïtien les éléments primordiaux dans le rêve tandis que pour l’européen l’entité dominante serait l’âme. D’après lui, le Petit Bon Ange ou l’esprit n’y joueraient aucun rôle prépondérant. La conception veut qu’à la mort, le gros Bon Ange et le Petit Bon Ange se détachent du corps pour vivre une vie nouvelle et le corps mortel, cette matière corruptible se désagrège, sa mission a pris fin. Un exemple : tous les membres de la famille Z, sont à son chevet. Plongé dans un sommeil presque éternel, le patient soudain raconte des faits hallucinants, il voyage, voit des choses merveilleuses, rit, chante et pleure. A ce moment une petite fille plus sensible que les autres parents pousse un grand cri. Celui qui était à l’article de la mort ouvre de grands yeux et demande à tous ce qui vient de se passer. C’est qu’aux cris d’alarme de la fillette, il s’est produit une sorte de « reconnexion associative spirituelle », le Petit Bon Ange lui aussi aurait pu s’écarter du corps, c’est-à-dire que Monsieur Z aurait pu mourrir sans le prompt retour du Gros Bon Ange. Des cas de ce genre sont enregistrés dans la communauté haïtienne, la conception populaire que l’homme qui a la malchance de posséder un esprit vagabond meurt facilement. Un malfaiteur peut lui tendre avec aisance un piège (pratique d’envoûtement). Un autre exemple, un type dort, respire, chante, parle, écrit des choses merveilleuses. À son réveil, il se demande quand, comment il a pu dire ou écrire tout cela. Que l’on parle de somnambulisme ou de l’hypnotisme, l’essentiel c’est que l’individu n’a aucune conscience de ce qu’il a fait.


Les divinités qui sont venues d’Afrique, dans les navires d’esclaves, sont en générale des divinités très combatives parce que les dieux agraires de la fécondité sont tombés à l’eau, ils n’ont pas terminé la traversée! Quand venaient les navires d’esclaves, ils partaient de la côte Africaine pour venir en Amérique en emmenant 9-10 millions d’esclaves, personne ne sait exactement combien, et ils emmenaient avec eux tous leurs dieux, mais en chemin, les dieux de la Fécondité sont tombés à l’eau. C’est très rare de trouver en Amérique des dieux agraires de la Fécondité d’origine Africaine. Cela me semble une preuve de dignité des esclaves qui arrivaient parce qu’ils savaient que s’ils fécondaient les terres, ces terres fécondées allaient donner plus de fruits aux maîtres, aux dépens de l’esclave. Et s’ils fécondaient les femmes, celles-ci allaient donner le jour à plus d’esclaves pour le maître. Ainsi, ces dieux tombent à l’eau, et ceux qui terminent la traversée, sont les dieux bagarreurs, combatifs, les dieux de la guerre, du sexe, de la force, de la tourmente, du tonnerre, du feu. Une autre chose qui me paraît intéressante dans le cas d’Haïti, est que les divinités populaires sont capables de faire le bien et le mal. C’est une religion à la mesure des besoins des hommes, et surtout de l’homme humilié, de l’homme se trouvant dans une situation d’oppression, qui a besoin en même temps d’un instrument de consolation et de vengeance.VISAGE DU VODOU HAITIEN (qualification haïtienne d’un
syncrétisme africain)

Ce tressage des deux cultes s’est opéré à trois niveaux : au niveau du panthéon, à celui du calendrier liturgique et au point de vue sacramentel. Donnons-en des exemples !

a) “Syncrétisme” au niveau du Panthéon –

Signalons tout d’abord qu’au niveau du PANTHEON tout saint catholique trouve son répondant en contexte Vodou :
Ainsi saint Patrice qu’on figure chassant les serpents d’Irlande est censé être la personnification de Damballah ; saint Pierre qui porte les clés du ciel figure Legba ; Erzulie est rappelée par sainte Anne ou encore une image de la Sainte Vierge au cœur transpercé ; Ogoun, par saint Jacques le Majeur, Agoué, par saint Expédit. (73)

Cette correspondance admet des variantes locales. Une enquête systématique dans les temples vodou livre au regard une longue liste iconographique où les chromolithographies catholiques servent à représenter des divinités africaines. C’est que pour des raisons qui ne sont pas très précises jusqu’ici, la statuaire religieuse a disparu en Haïti. (74) M. Bastide nous explique admirablement ce phénomène d’identification en écrivant :
“Le syncrétisme par correspondance Dieux-Saints est le processus le plus fondamental et d’ailleurs le plus étudié. Il s’explique, historiquement, par la nécessité à l’époque coloniale, pour les esclaves, de dissimuler aux yeux des Blancs leurs cérémonies païennes ; ils dansaient donc devant un autel catholique, ce qui fait que leurs Maïtres, tout en trouvant la chose bizarre, ne s’imaginaient pas que les danses des Noirs s’adressaient, par delà les lithographies ou les statues des saints, aux divinités africaines. Encore aujourd’hui, les prêtres ou prêtresses du Brésil reconnaissent que le syncrétisme n’est qu’un masque des Blancs mis sur des dieux noirs. Cependant, théologiquement, il se justifie aux yeux des fidèles. Au fond il n’y a qu’une religion universelle, celle qui reconnaît l’existence d’un Dieu unique et créateur : mais ce Dieu est trop loin des hommes pour que ces derniers puissent entrer en contact direct avec lui ; des “intermédiaires” sont nécessaires, anges de l’Ancien Testament, saints du catholicisme pour les Blancs, Orischa, Vodun pour les Noirs … Cependant cette religion universelle prend des formes locales, selon les ethnies ou les races : mais ces variations ne sont pas fondamentales ; ent tout cas, on peut toujours “traduire” une religion dans une autre, en faisant correspondre chaque divinité africaine à un saint particulier…” (75)

Le mécanisme de traduction en est d’ailleurs très simple.

“Les murs des houmfo et des sanctuaries familiaux sont tapissés de chromos imprimés en Allemagne, en Tchécoslovaquie, en Italie ou à Cuba, qui figurent divers saints pourvus de leurs attributs ou vivant un épisode de leur légende. Par leur simple présence dans un lieu consacré au culte vodou, ces personnages ont perdu leur qualité de saints catholiques et se sont transformés en loa. Mais ce changement d’identité ne s’est pas opéré arbitrairement. Il découle toujours d’une ressemblance entre certaines particularités de l’image et l’idée que les fidèles se font du loa et de ses attributs symboliques. Il a suffi souvent d’un détail, secondaire à nos yeux, significatif dans le cadre de la mythologie vodou, pour qu’un chromo soit choisi comme l’image de telle ou telle divinité africaine. Par exemple, les serpents chassés d’Irlande que l’on voit aux pieds de saint Patrick ont suggéré un rapprochement entre le saint de Damballah-wèdo, le dieu couleuvre. De même si les images de la Mater dolorosa représentent Ezili-fréda-Dahomey, c’est parce que les bijoux dont la Vierge est parée et son cœur transpercé d’un glaive évoquent la richesse et l’amour, propres à la déesse vaudou. Saint Jacques le Majeur, figuré sous les traits d’un chevalier bardé de fer, est identifié à Ogou-ferraille, le loa forgeron et guerrier. Quant au personnage armé de pied en cap qui apparaît sur le même chromo, il est pour les uns Ogou-Badagri (76) pour les autres un Guédé (77) à cause de la visière baissée de son casque qui rappelle vaguement la mentonnière des cadavres. Les identifications dont nous venons de donner quelques exemples sont, comme les définit si heureusement Michel Leiris, des “calembours de choses”. (78)

Un tableau des correspondances les plus connues éclairera notre propos :
a) “Syncrétisme” du calendrier –

Toute religion a son rythme, son cycle. La question d’un temps religieux qui n’est pas forcément homogène au temps des astronomes nous conduit donc à examiner le calendrier des fêtes. Or qu’y constatons-nous ? “un parallélisme très étroit entre les calendriers liturgiques” catholique et vodou. (82) Pourtant nous savons par Bastide (83) que la semaine des Yoruba d’Afrique était de cinq jours et celle des Fon du continent de quatre. Chaque jour était consacré à un dieu particulier et le cinquième jour de la semaine Yoruba, l’ODJO-OSE, “le saint jour”, prenait le caractère d’une “générale” parce que ce jour-là on fêtait tous les dieux, même ceux dont il n’avait pas été fait mention précédemment” (84). Les esclaves venus en Haïti ont dû sortir de leur semaine de quatre ou cinq jours, entrer dans le cadre de la semaine occidentale de sept jours et redistribuer leur dieu de façon différente. Voici donc du coup les mythes contrariés ! La confusion est là. Le nègre était frustré de ce qui était très important pour lui. On le désafricanisait. Bastide nous dit que cette impossibilité pour le Noir de rythmer ses journées selon les règles de sa foi est une des raisons de plusieurs révoltes contre le régime servile (85). Ainsi, l’esclavage ayant rompu le rythme du temps sacré africain, les Noirs ont dû adopter le rthyme chrétien et centrer les grandes célébrations ancestrales autour des fêtes catholiques. La symbiose liturgique se fera donc au niveau du cycle hebdomadaire et du cycle annuel. (86)


"le jour des Rois est consacré à des cérémonies en l’honneur des l o a Congo; pendant toute la période de Carême les sanctuaires vaudou sont fermés (87) et aucun service n’y est célébré: parfois même pendant la Semaine sainte, les objets du culte vaudou –cruches contenant les esprits, pierres des esprits, emblêmes des dieux – sont recouverts d’un drap, comme les images dans les églises catholiques; à l’époque de la Toussaint, les Guédés, génies de la mort, envahissent les villes et les campagnes, vêtus de noir et de mauve, et les individus possédés par eux se rencontrent, non seulement dans les sanctuaires, mais au marché, sur les places publiques et sur les routes; la nuit de Noël est … celle où le rituel vaudou se déploie avec le plus d’éclat.” (88)

Au pèlerinage national de Saut-d’eau on n’honore pas seulement la Sainte Vierge mais encore les dieux aquatiques DANBALA, sa femme AIDA-WEDO (89) et GRAN’BOSSINE. Des possessions surviennent sous la cascade mystique et devant l’obstination du peuple à se rassembler dans un bosquet sacré pour prier, le clergé a dû en faire un lieu de procession. Dans la nuit qui précède la fête de Notre Dame du Mont-Carmel, les fidèles, réunis “dans le bosquet illuminé de milliers de cierges”, (90)… “frottent les malades avec l’huile des lampes qui ont brûlé devant les arbres sacrés et, avec l'eau des ruisseaux dans laquelle ont trempé des plantes médicinales.”

SALGADO (91) qui fait sûrement allusion à d’autres observations signale que “le 6 janvier est consacré à Damballah, la Toussaint à Legba ; aux environs de Pâques on honore Legba en tant que principe de la fécondité ; la Pentecôte est réservée aux initiations ; à Noël on célèbre les forces de la nature et les jumeaux ; le 2 Novembre, les “morts”…
b) “Syncrétisme” au plan sacramentaire –
L’intrication des rites catholiques et vodou s’observe enfin au plan sacramentaire.
“Les sacrements de l’Eglise, comme le baptême, la communion, etc…, sont repensés en termes africains: la fonction qu’on leur connaît, c’est d’accroître la force vitale, de guérir les malades, de fortifier la tête (92), siège du Vodun; il n’est pas jusqu’au mariage qui ne s’introduise dans le culte haïtien: certains fidèles se marient, par contrat écrit, avec un loa – loa d’ailleurs beaucoup plus exigeant en matière d’adultère que nombre de maris ou d’épouses… Si un protestant veut redevenir Vodouisant, il n’est accepté par le Houngan ou la Mambo (93) qu’à la condition de s’être au préalable fait baptiser –ou rebaptiser- à l’Eglise catholique.” (94)

A. METRAUX donne des détails qu’il est important de relever :

“Le baptême a été adopté par le vaudou comme un rite deconsécration. On baptise non seulement les hommes, mais aussi les loa et tous les objets servant au culte. La cérémonie du “baptême” célébrée avec plus ou moins d’éclat selon que l’on baptise un sanctuaire, des tambours, des colliers, des vêtements etc., est toujours – qu’elle qu’en soit l’occasion conforme à la liturgie catholique : l’officiant récite des prières, asperge l’objet d’eau bénite et lui donne un nom choisi par un parrain et une marraine qui l’assistent et qui, par la suite, se traitent, par jeu, de “compère” et de “commère”. (95)

La communion catholique est regardée par certains prêtres vaudou comme un sacrement accroissant leur puissance : ils la recommandent parfois à leurs clients. Bien plus : certains loa passent pour “catholiques” et, de ce fait, doivent communier de temps à autre. C’est notamment le cas de Damballah-wedo ; quand le dieu serpent désire s’approcher de la Sainte Table, il en avertit un de ses serviteurs ; celui-ci en bon chrétien, se prépare à la réception du sacrement et au jour indiqué, mettant dans sa poche une pierre consacrée à Damballah, se rend à l’autel ; au moment de recevoir les espèces, il est possédé par Damballah qui communie à sa place…” (96).

c) Autres “syncrétismes” –

D’autre part, les tambours (le Vodou étant une religion dansée) sont
“baptisés”. (97) Les cérémonies vodou s’ouvrent sur des litanies en mosaïque où les saints catholiques voisinent avec les divinités afro-haïtiennes. Maximilien nous donne un exemple intéressant d’une litanie DJO. (98) Après l’invocation du “Grand Père Eternel” à quoi les fidèles répondent “rhélé djo” c’est-à-dire “protégez-nous” !, nous trouvons mention de la Vierge Marie, des Saints Antoine de Padoue, Nicolas, Joseph, André, Moïse, Augustin, Sauveur, Gérard, Ulrich, Patrice, Côme et Damien, Jean, Luc, Marc, Mathieu, Pierre et Paul, Jacques et Philippe, Charles Borromée, Anne, Claire, tous les saints et saintes qui sont dans le ciel. A cette dernière invocation on répond : “zo lissadole, zo lissabagui zo, lissabagui wangan cigné lissadolé zo, zo, zo.” Suivent alors les loa avec leur titulature. (99)


“La prière achevée, tous les hounsis baisent laterre et ils se mettent debout. La mambo se lève aussi et elle sonne de l’açon (l00) et de la clochette. Le pot d’eau lui est remis … par le laplace (101) elle le présente aux quatre façades du monde en disant les mots sacrés… et elle chante : Liissae bague Wangan cigné-tor Wanminam dogui-guinin, après Dieu, après Dieu, après Dieu. Elle jette un peu d’eau à chaque fois. Ce geste signifie : Dieu le Père, Dieu le Fils et Dieu le S. Esprit. Puis elle invoque Legba-Atibon … Par le moyen de ce loa le vodouisant invoque Jésus, le Verbe, car le Christ préside leur cérémonie, il leur donne le courage de remplir leurs devoirs religieux, selon eux-mêmes.” (102)

Ici, peut-être l’auteur a-t-il un peu forcé l’interprétation ou a-t-il enquêté dans un sanctuaire en désintégration. Il est plus convaincant quand il nous dit que sur les autels vodou voisinent crucifix et pots-de-tête (103) et que le symbole de la déesse Erzulie, un cœur quadrillé, se ressent de l’influence chrétienne. (104)
Un dernier trait de l’infusion catholique dans le vodou est l’existence du “Pè-savane”, personnage qui se trouve à la flexion du christianisme et du vodou. J. B. Romain nous le présente dans ses fonctions tel que moi-même je l’ai observé :

“Le sacristain des chapelles chrétiennes (105) de campagne passe pour le type classique du Père-Savane. Il bénit les autels vodou, les talismans, les scapulaires, les drapeaux de sociétés religieuses, moyennant finance. Par sa position dans l’église catholique- position qui lui permet de manipuler et d’utiliser certains objets sacrés- il apparaît comme un élément vivant du syncrétisme catholico-vodou.” (106)

Et la liste des traits syncrétiques n’est pas close. Le temps est venu de nous demander si le Catholicisme a presque totalement colonisé le Vodou jusqu'à en faire un catholicisme déformé, un “mélange”, ou si le Vodou a gardé son originalité africaine malgré le manteau catholique que les circonstances l’ont contraint à jeter sur sa face religieuse et en dépit des ingrédients chrétiens qu’il utilise pour renforcer son efficacité magique.


Mais qu’est-ce que le syncrétisme ?
a) Si nous examinons d’abord ce qu’il n’est pas, disons tout de suite qu’il n’est pas nécessairement ce qui nous vient le plus spontanément à l’esprit, c’est-à-dire, une fusion :

“Toute religion occupe un certain espace délimité du sol et rythme la continuité de son existence selon un certain calendrier. Or, l’esclavage a forcé l’Africain à détacher sa religion de son cadre géographique naturel pour l’inscrire sur une terre nouvelle et à rythmer sa vie d’après un autre calendrier que le sien, celui de ses Maîtres blancs. De ces adaptations forcées et de ces contraintes, des premières formes de syncrétisme sont sorties : ce qui caractérise le syncrétisme spatial, c’est que, de par la nature même des objets qui vont s’y insérer et qui sont des solides indéformables, le syncrétisme ne peut ici être fusion, il reste sur le plan de la coexistence d’objets disparates…” (107)

b) Dans le Vodou, le syncrétisme n’est pas non plus forcément une synthèse :
En effet, il peut “consister pour le cadre temporal à couler dans une forme occidentale une matière africaine.” (107) Ainsi les célébrations de Noël couvrent le Nouvel an Vodou, l’année liturgique s’inaugurant avec la période de plus forte qualité du “DAN”, c’est-à-dire de la force du Dieu suprême (108). La semaine Sainte sert de cadre à l’exode des “lwa” en Afrique et le culte des Ancêtres utilise le 2 Novembre catholique. La liste pourrait s’allonger.

Si nous laissons le cadre temporel pour examiner la teneur de certaines pratiques de formes authentiquement chrétiennes, nous découvrons avec Herskovits qu’elles “dissimulent des attitudes et des pratiques dont l’origine africaine est patente (109). Nous avons déjà vu comment les sacrements étaient repensés en termes africains comme catalyseurs de la force vitale : le souci d’assurer au défunt un bel enterrement et un service religieux très important n’est qu’une démarche d’exorcisme à l’africaine. Les veillées de prières (catholiques) tenues pendant neuf jours dans la maison mortuaire après les funérailles traduisent l’idée que le mort n’a pas quitté la maison où il a vécu. Tout cela est africain. (110)


Après l’exclusion de deux réalités qui ne semblent pas caractériser le phénomène de contact entre Vodou et Catholicisme en Haïti, pouvons-nous trouver une définition du syncrétisme qui éclaire la situation religieuse dans ce pays ?

Dans son étude, “L’Eglise et les Cultures”, Louis J. LUZBETAK définit le syncrétisme comme un amalgame entraînant un comportement moral ou religieux (111). Il précise :

“Dans un sens un peu plus large, le terme s’applique au mélange de deux ou plusieurs croyances religieuses opposées, quelles qu’elles soient, comme il est arrivé dans l’Islam (112)
En un sens plus restreint … le syncrétisme signifie la fusion du christianisme et de ce qu’on appelle communément le “paganisme”, fusion ayant comme résultat un amalgame, théologiquement insoutenable, dit “Christo-Paganisme.”

Nous devons affirmer qu’après analyse aucun de ces sens tel que l’auteur les présente ne paraît s’appliquer au Vodou haïtien. Nous préférons de beaucoup Dom G. GUARIGLIA pour qui le syncrétisme est “une acceptation du processus d’acculturation dans son aspect d’intégration culturelle, mais avec l’espérance d’assurer la prédominance de sa propre culture, comme instrument de libération.” (113) Cette définition rend parfaitement compte, à mon sens, du phénomène que nous étudions.

En effet, la rencontre historique de la civilisation occidentale et de la civilisation africaine s’est faite sous le signe de l’affrontement. On peut donc penser que la politique des maîtres ait été de déculturation forcée (langue, religion, manière de travailler) et d’assimilation. Contre l’entreprise d’uniformité culturelle, surtout lorsqu’elle est menée brutalement, la réaction est inévitable. A l’acculturation recherchée par les plus forts et qui fait entrer la culture des plus faibles en état de crise, les dominés repondent ou par le rejet ou par la ré-interprétation. Mais qu’est ce que l’acculturation ?


“Par ce mot assez lourd mais fort usité, on désigne un aspect très particulier du contact entre civilisations, à savoir l’adaptation globale d’une population à une culture qui n’était pas la sienne originellement. Ce phénomène se produit notamment lorsqu’une collectivité est soumise à une invasion lorsqu’elle est submergée par des conquérants, ou quand elle est transplantée d’une région dans une autre…” (114)

Cette définition éclaire bien notre problème puisque le Vodou est une “religion” de déportés. Comme tel donc il ne pouvait être qu’une “religion” de protestation et de rédemption sociale. M. Georges BALANDIER a montré de façon définitive que là où l’expression politique est barrée, la tension d’un peuple opprimé se résout toujours par le biais religieux. Les messianismes africains en sont la preuve péremptoire (115). M. Vittorio LANTERNARI ne dit pas autre chose :

“Il n’est point de groupe humain que ne réagisse aux transformations, aux déséquilibres, aux crises que la dynamique historique introduit dans le contexte physique ou culturel auquel ce groupe appartient. Tout changement brusque, tout conflit interne ou externe, quel qu’il soit, produit une crise : à chaque crise la société répond en élaborant peu à peu de nouvelles formes et de nouveaux moyens d’équilibre dans le cadre de sa propre culture. Il s’agit parfois de crises et de heurts si graves qu’ils menacent la survie même du groupe : le risque apparaît total et vital. En ce cas les forces les plus secrètes et les plus actives de la culture toute entière sont mobilisées pour élaborer les formes de libération adéquates. Ce sont les forces de la VIE RELIGIEUSE…” (116)

Nous verrons en effet que les figures caractéristiques du mouvement de libération haïtienne étaient des prophètes-guides commes Makandal ou Boukman.
Dès lors, dans ce contexte précis où “la résistance contre le Blanc a été autant religieuse que social” (117)

Pouvait-on s’attendre à une adoption inconditionnelle de la culture blanche par l’Africain ? C’est ici que nous devons faire remarquer que la Contre-acculturation est trompeuse ou en tout cas ambiguë. En effet, la notion de contre-acculturation et celle de syncrétisme, c’est-à-dire le rejet et l’accomodation à la culture dominante sont des concepts qui jouent à un certain degré d’abstraction, car en fait, comme le dit Bastide :

“Le syncrétisme est toujours plus ou moins contre-acculturatif et l’acculturation plus ou moins syncrétique.” (118)

Une foule de textes émanant d’auteurs très différents se presse ici pour illustrer une telle observation. Qu’on nous permette d’en retranscrire quelques-uns.

Une remarque décisive de M. BASTIDE introduit la longue liste de témoignages.
“Toute réaction, par le seul fait d’être une réaction, ne peut aboutir à une reconstitution fidèle du passé. On est toujours touché par ce contre quoi on lutte…” (119)

Et comme “on ne peut jamais restaurer (le passé) de façon mécanique”, (120) on va assister à l’élaboration d’une forme de résistance à l’intérieur de l’équipement culturel transmis par la tradition…(qui va) faire surgir des couches les plus profondes de la culture ancestrale une nouvelle religion, mieux une réforme religieuse qui, tout en admettant la coexistence avec les blancs et en acceptant certains éléments propres à un nouveau syncrétisme donne (aux Noirs) la conviction d’être eux-mêmes, de ne pas succomber au joug culturel (des étrangers). (121)
Ainsi l’acculturation ne sera-t-elle qu’un syncrétisme de revêtement et une façade derrière laquelle se maintiennent les survivances ancestrales. Comme l’explique le Père WAGNER,
“une secte néo-païenne, c’est le paganisme ancient adapté à la situation moderne… il ne s’y trouve aucun élément de syncrétisme religieux, mais beaucoup de “syncrétisme civil”. (122)

En effet, “on doit se demander dans quelle mesure un peuple peut “s’acculturer”. Cette fameuse acculturation ne porterait-elle pas sur des faits de la “civilisation”, entendue comme une organisation de la vie, bien plus que sur la “culture” proprement dite, élaborant les conceptions et les motivations profondes de cette vie ?” (123)

Ce syncrétisme demeure donc tout de surface parce qu’il:
“s’explique historiquement, par la nécessité à l’époque coloniale, pour les esclaves, de dissimuler aux yeux des Blancs leurs cérémonies païennes.” (124)

Il ne pouvait en étre autrement quand on sait que l’acculturation était pour le Noir une technique de mobilité sociale, la seule solution laissée à l’esclave pour sortir d’une situation inconfortable. Elle prenait deux formes très repérables : d’une part, la forme culturelle qui consistait à s’approprier le comportement du maïtre notamment par l’adhésion au catholicisme ; et d’autre part, la forme biologique qui poussait la femme noire à accorder des faveurs exigées par le colon contre d’autres faveurs. Examinons le premier aspect de la question :

L’adhésion au catholicisme et l’appropriation du comportement du maître étaient, avons-nous dit, une technique de mobilité, une lutte pour le statut social. Une page de Bastide nous le montre sans équivoque :

“Les Bantous ont certainement constitué, surtout à certaines époques, l’élément dominant de la population esclave…C’est que les Bantous ont été surtout appréciés par leur force physique, leur résistance au travail, leurs qualités d’agriculteurs… D’un autre côté, les Bantous (et c’était aussi une des raisons pour lesquelles ils étaient appréciés par les Blancs) se montraient plus perméables aux influences extérieures; ils comprenaient que leur christianisation ou leur occidentalisation leur permettrait, dans une société où les modèles européens étaient le critère des comportements, une mobilité verticale que leur résistance culturelle aurait, au contraire, compromise…” (125)

La suite du témoignage indique que les ethnies Bantoues sont celles qui ont été le plus loin dans le processus d’acculturation qui n’était pas seulement chez elles une couverture. Elles ont passé à l’Occident pour grimper dans l’échelle sociale. Les autres ethnies présentaient plus de résistance intérieure et ont utilisé une véritable stratégie. Comme le Lapin, l’Araignée, le Lézard et la Tortue de leurs fables (126), elles ont mis en œuvre la ruse pour survivre. L’acculturation n’était donc qu’un maquillage astucieux. Le Nègre acceptait les valeurs blanches en les teintant de noir (127). L’acculturation n’était pas complètement l’assimilation culturelle et la disparition totale des civilisations natives. Les éléments chrétiens prêchés par les missionnaires servaient ou bien de masque, ou bien étaient ré-interprétés en termes africains ou sélectionnés à travers le filtre du paganisme. Comme le fait remarquer Lanternari :

“Ce n’est par hasard si, parmi les éléments chrétiens assimilés, prédomine la figure du Dieu judaïque de l’Ancien Testament, invisible, spirituelle, dont la présence peut être éprouvée mystiquement au moyen de visions et d’exaltations rituelles alors que demeurent incertains le rôle de Jésus et de la Trinité…” (128)

L’empreinte chrétienne ne pouvait en tout cas être très profonde dans l’âme du Noir.

Cela, pour plusieurs raisons :

1. – Des chrétiens ont violenté la conscience de l’esclave pour lui imposer leurs convictions :
“En Amérique latine, les esclaves devaient être baptisés soit à leur départ d’Afrique, soit à leur entrée dans le pays et recevoir une instruction religieuse (qui justifiait aux yeux des Blancs, le régime servile : si on esclavagisait les corps, c’était pour mieux libérer les âmes) … l’homme de couleur a été soumis à une pression terrible de la part du milieu extérieur, dans le domaine des ses croyances et de ses pratiques … (129)

2. – Une deuxième raison significative du peu d’emprise du catholicisme sur l’âme nègre est présentée dans un texte du Père Cabon, rapporté par le Père Parisot :
“Pour les esclaves, écrit-il, /…/ on les baptise sans les instruire suffisamment. Ils ne montrent pas de répulsion pour la religion de leurs maîtres, mais on est porté à penser que s’ils y adhèrent, de leur propre mouvement, c’est surtout pour sortir de l’espèce de réprobation où les tiennent leurs coutumes africaines, /…/ ils redoutent le mariage qui les fixerait, autant que leurs maîtres le réprouvent et s’y opposent, parce que le mariage donne à l’esclave des droits que le maître ne peut impunément léser (130)”

Cette recherche du statut social à traverse l’adoption de la religion que nous appellerons “l’ustensilisation pour la promotion sociale” apparaît de façon évidente dans cette citation de Métraux que nous reproduisons :

“Depuis l’époque coloniale les paysans haïtiens accordent une importance excessive au baptême. Moreau de Saint-Méry l’avait déjà signalé : “Comme les nègres créoles prétendent à cause du baptême qu’ils ont reçu, à une grande supériorité sur tous les nègres arrivant d’Afrique et qu’on désigne sous le nom de B o s s a l s, employé dans toute l’Amérique espagnole, les Africains qu’on apostrophe en les appellant C h e v e a u x (sic) sont très empressés à se faire baptiser. A certaines époques telles que celles du Samedi Saint et du Samedi de la Pentecôte, où l’on baptise les adultes, les nègres se rendent à l’église et souvent sans aucune préparation et sans autre soin que de s’assurer d’un parrain et d’une marraine qu’on leur indique quelque fois à l’instant ; ils reçoivent le premier sacrement du Chrétien et se garantissent ainsi de l’injure adressée aux non-baptisés : quoique les nègres créoles les appellent toujours “b a p t i s é s – d e b o u t.”

L’empressement des esclaves à se faire baptiser ne s’explique pas uniquement par leur désir d’être assimilés aux nègres nés à Saint-Domingue. D’autres auteurs nous apprennent qu’ils cherchaient à se faire baptiser plusieurs fois. (131) Ce zèle ne se justifiait pas – quoi qu’on en dise – par l’espoir de menus cadeaux, mais par des motifs magico-religieux…” (132)

La MAGIE ! voilà bien un des grands motifs du syncrétisme afro-haïtien !
3. – En effet, la loi de la Magie est celle de l’efficacité. Elle a pour “effet immédiat et essential de modifier un état donné.” (133) “La magie est l’art des changements”. (134)
Puisque le Catholicisme était la religion des conquérants qui assuraient dans la colonie une domination sans faille, il devait être porteur d’une puissance cachée que le Noir entreprend de s’approprier pour surmonter sa condition servile et acquérir un statut heureux. Dans cette perspective,

“les indigènes interprètent le christianisme, nom dans sa valeur intrinsèque et religieuse mais comme un instrument pour acquérir une suprématie… analogue à celle des occidentaux. Il s’agit d’une interprétation absolument magique et matérialiste de la culture chrétienne…” (135)

Mais d’autre part, puisque l’hostilité latente nourrie contre les blancs interdisait le noir de les identifier au bien, l’opprimé va pratiquer une politique de juxtaposition qui posera le catholicisme à côté de sa religion et de sa magie nègres. Il espère par cette accumulation multiplier la puissance opératoire de ses propres moyens.


Comme l’écrit M.Bastide : “Les Nègres empruntent la magie des Blancs pour fortifier la leur …” (136)

J'ai travaillé avec les guérisseurs du Zaïre également avec ceux d'Haïti, de Santo Domingo et des caraïbes avec une approche psychosociale et spirituelle de la maladie lwa (loa).

Les plantes médicinales constituent le moyen thérapeutique des soins. Ce savoir permet un sentiment d'appropriation de moyens de guérison. Ce savoir s'organise par la conjugaison de connaissances empiriques utilisant les principes actifs des plantes et par leur ritualisation les insèrent dans le circuit des échanges symboliques - les pratiques magiques qui entourent et traversent les préparations des feuilles permettant de renforcer leurs principes actifs.

Les maladies attribuées à l'action des loas le sont lorsqu'une personne ne donne pas à manger à ses loas, n'accomplit pas les rites du "désounen" ou du "wete mò nan dlo", refuse de s'initier alors que les loas la réclament ou lorsqu'elle ne veut pas se marier avec un loa qui lui aurait fait cette demande. Les vodouisants connaissent très bien les règles de l'échange symbolique. S'ils allument une chandelle un mardi ou un jeudi et s'adressent à Fréda ou Dantor pour leur demander de l'aide, ils savent qu'au moment où cetet chose leur est accordée ils se retrouvent en dette vis-à-vis d'eux. Dans une famille une personne est désignée par les loas pour les "ramasser", c'est-à-dire pour prendre en charge les échanges cérémoniels. Si elle refuse par manque d'argent ou de conviction ou par crainte de s'engager plus à fond dans la pratique religieuse, les loas de la famille vont tôt ou tard se fâcher en diminuant sa force vitale (maladie) ou sa force de fécondité (mortalité infantile, perte d'argent, etc.). C'est une conviction toute silencieuse mais profonde chez les vodouisants: l'asymétrie des échanges est un jour ou l'autre condamnable. (J. Tremblay).

Chez les vodouisants, un corps malade c'est un corps "dékompoze" (décomposé), "demanbre" (démenbré), ou "kraze" (écrasé). Ces qualificatifs expriment bien la perte de l'énergie vitale et les vodouisants (même les convertis) vont dans leur quête de guérison tout mettre en branle pour retrouver cette énergie. La notion de santé qui est signifiée à partir de l'expérience de la maladie est une notion dynamique qui induit une position d'agent dans le processus de guérison. La tisane pour reprendre du chaud dans le corps (le refroidissement c'est la perte de cette énergie), le massage chez le "doktè fèy) pour que le corps retrouve son tonus: "pou ke le vin du" (pour que le corps devienne dur), dans les feuilles des principes actifs contre certaines maladies, elles ont aussi la propriété d'absorber par les prières et les rites magiques une force divine qui agit sur les symptômes et sur la force vitale du corps. Laver, baigner, masser, régulariser la température du corps, prier sont des verbes dont les effets renforcent la vitalité du "gwo-bon-nanj", du "ti-bon-nanj" et du "kadav kò".



GUÉDÉ

Le discours lubrique et la danse érotique des guédés rendent compte de l'intime liaison de la mort et de la sexualité. Par leur exaltation érotique les vivants transmettent leur énergie vitale aux esprits morts. L'échange symbolique s'articule à ce don énergétique et les esprits transforment cette énergie en énergie divine qu'ils rendent en fertilisant la vie. Comme dans le sacrifice, les échanges cérémoniels destinés aux guédés, manifestent la vie jusque dans la mort. Bataille (1957) nous éclaire sur le rapport de l'érotisme à la violence et nous indique son lient étroit avec la religion. C'est dans ce sens qu'il précise que l'on se familiarise avec la mort lorsque l'on se livre tout entier à l'expérience libertine. Tous ceux qui sont morts depuis longtemps, omniprésents mais vivants sont séparés des vivants; les vodouisants raccordent le lien par le sentiment de continuité que permet la dépense sans limite du corps dans la danse puis dans la transe et le sacrifice. Le vodou est une expérience érotique où la transgression de l'interdit, (sacrifice, boire de l'alcool pimenté, manger du verre, grimper au poteau mitan (poteau central du temple vodou), tenir un langage lubrique, etc. en situation de transe) permet d'éprouver son pouvoir de jouissance qui est un pouvoir de vitalité et de fertilité. Bataille précise que cette expérience de la transgression est réussie si elle maintient l'interdit pour en jouir. Ce pouvoir de jouissance qui en résulte. Apollon (1976) l'a très bien analysé, c'est en fait l'expérience de la relation entre le désir et l'effroi et le plaisir intense et l'angoisse. Le vodou a ses lieux d'initiation qui permettent de pousser les limites de la transgression toujours un peu plus loin. Les sociétés secrètes en Haïti ont leur conditions d'existence dans cette expérience érotique où la levée des interdits selon la gravité du sacrifice et des autres types de transgressions (transformations animales, perfomances pendant la transe: manger du feu, manger du verre, relation sexuelle avec des animaux, etc.) éprouvent plus profondément l'être.

Le mort chez le vodouisant c'est la perte du corps et le déplacement de la personne vers un autre ordre de vie. La mort c'est le passage au monde spirituel et les cérémonies funéraires sont très complexes à cause de l'importance de ce passage pour le défunt et du lien que les vivants tissent avec lui et qui les gardera unis. Le rite du "désounen" vise à libérer le "gwo-bon-nanj" du "kadav-kò" et à la suite d'un séjour d'un an et un jour dans l'eau, le rite du "wete mo nan dlo" le récupère:

Il a pour but de sanctionner l'achèvement de la transformation intervenue dans l'eau mythique et d'introniser le nouvel être sublimé (métaphysiquement) dans le temple où il va entretenir des relations d'une autre forme avec tous les fidèles qui sont affiliés. (Pierre 1991:244).

Ces cérémonies funèbres rassemblent plus que toutes les autres la famille étendue. Ses membres les plus éloignés font le voyage pour cet événement et par delà les transformations de la vie communautaire, la société de parents avec ses alliances se reconstitue pour ce moment de haute importance. Toutefois dans le contexte du sapage de l'économie rituelle, la toilette du mort, la veillée funéraire et la fête de guédés sont des rites encore fortement pratiqués mais la cérémonie du "desounen" et du "wete mò nan dlo" le sont beaucoup moins. Ces deux derniers rites permettent à un héritier de "ramasse" (ramasser) les loas mais le coût de ces cérémonies est élevé et nombreux sont ceux qui hésitent à s'endetter.

Chaque mois de novembre, la famille étendue qui vit dans la même localité se réunit pour donner à manger à ses défunts qui reposent dans les petits cimetières de la famille, dispersés ici et là dans les jardins. La fête des guédés commence avec une action de grâce. Le jour suivant, chaque tombeau est visité en compagnie du Père Savane qui, avec ses prières catholiques et son eau bénite, bénit les ancêtres et les esprits morts sous l'égide du Bon Dieu ou de Dieu l'Eternel. Les vodouisants accompagnés des guédés (vodouisants en transe, chevauchés par un esprit mort) font les guignols et complètent le rite en arrosant les tombes de café, rhum et cacahouètes. Au retour, la fête commence et les guédés amusent avec leurs chants et leurs histoires lubriques.


À PARAÎTRE

Dieux

Vodou

Guérissez-moi

Et Donnez-moi

le Salut
Papa............Parle-moi de la Sexualité des Adolescents Noirs


Par Pierre Eddy Constant


La Rencontre

du Maître et de l'athée (Roman)


Par Pierre Eddy Constant


La Rencontre de la Québécoise (Roman)

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DÉJÀ PARUS

Jean-Jacques Déssalines dans le Panthéon Vodouique
Thèse de doctorat de l'auteur

Education et Pouvoir
dans les pays dépendants

Comment comprendre le burn-out en milieu carcéral

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La terre où se nichent les mystères

Lorsque les paysans demandent l’aide de leurs loas, ils s’adressent à ceux-la qui de par leur personnalité et leur rapport à la famille sont les plus près d’eux. Le vodou est en tout premier lieu une religion familiale qui se pratique d’abord dans l’espace résidentiel du lakou. Dans chaque famille vodourisante une personne est désignée par les dieux (« lwa reclame’m » - « les loas me réclament ») pour continuer à les servir. Cette personne assure les échanges cérémoniels avec les loas de sa mère ou de son père qu’elle reçoit en héritage. Cette désignation donne à la personne concernée du prestige et de l’autorité dans son milieu familial car c’est par elle que chacun des membres de la famille entre en relation d’échange avec les loas. Parmi ces personnes il y a celles qui sont initiées. Le hounsi Kanzo est la servante des loas et la servante d’une manbo ou d’un ougan qui sont les « maîtres » des loas régnant avec une autorité absolue sur ses congrégations. Ces personnes sont perçues comme des « gwo moune » (grosses personnes); reconnues puissantes par les connaissances qu’elles détiennent, elles ont une très grande influence dans les décisions familiales et dans la résolution des problèmes (conflit, maladie etc.).

Le vodou est une institution religieuse qui fonctionne sur la base de regroupements socio-politiques (filiation et /ou alliance) qui sont dirigés par une autorité absolue, (oungan ou manbo). Laguerre (1988), a bien montré les divers modèles de réseaux des temples vodous par rapport à une unité centrale. On trouve des temples indépendants dont l’activité cérémonielle a lieu dans le lakou pour la famille étendue. Il y a les « temples a relations symétriques » qui se caractérisent par la liaison entre deux temples à partir du mariage; dans ce contexte d’alliance, les rapports sont égalitaires entre les deux congrégations réunies. Les « temples de propriété commune » sont ceux de propriétaires d’une unité centrale qui possède aussi d’autres temples dans différentes régions du pays. Le oungan établit une liaison entre chacun de ses temples et selon leurs conditions de formation de ses temples gérés (par ses nombreuses femmes et quelques hommes initiés par lui) les relations seront plus ou moins ouvertes. Laguerre nous dit que dans ce cas, les congrégations de chacun de ces temples sont « naturellement » reliées aux autres. Ces congrégations sont certes soumises à la même autorité mais n’entretiennent pas nécessairement de lien entre elles compte tenu que cette organisation se fonde en partie sur la polygamie. On trouve aussi des temples « à relations asymétriques » ou « l’unité centrale du culte est reliée a des centres-satellites possédés par des individus qui ont reçu leur formation par le même prêtre patriarche » (Laguerre 1988 :40). Ces propriétaires de temples sont des « pitit kay » (des enfants de la maison) du temple central du patriarche. Comme Laguerre, j’ai aussi été témoin en Haïti de la coexistence du troisième et du quatrième modèle. Le propriétaire de plusieurs congrégations exerce son magistère indépendamment du patriarche avec qui il reste associé avec les propriétaires de d’autres congrégations initiés par ce même patriarche.

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Les loup-garous comme pratique éthique d’ordre sacrificiel

Les loup-garous sont bien réels en Haïti comme le sont le bizango qui se transforme en oiseau ou en bouc pour voler ou courir sur les limites de la plaine ou en bordure des routes, comme ce zobop qui se rend invisible ou se déplace si rapidement d’un point a l’autre qu’on ne le voit pas venir. Ils sont bien réelles ces bandes d’hommes et de femmes qui se transforment la nuit en animal ou en molécules et cherchent à manger de l’humain. Elles sont bien réelles ces hordes d’
humains qui se métamorphosent et se multiplient dans cet espace social en état de contagion, de belligérance et de lente catastrophe. Il était près d’une heure du matin lorsque Mémé a vu « yon gwo mal chen » (un gros male chien) dans le carrefour Chada. Elle a vu le chien grandir et à cette vue elle s’est réfugiée dans une cour jusqu'à trois heures du matin. Oli pour sa part raconte que lorsqu’elle est sortie de Moliar, elle a vu cinq filles et un garçon dans le carrefour qui se sont transformés en un grand feu. Quelques instants plus tard, elle a vu le feu s’envoler.

Ce sont des devenirs-animaux et des devenirs-moléculaires qui ne deviennent pas autre chose que des devenirs, comme nous l’indique Deleuze et Guattari dans « Mille Plateaux » (1980). Ces devenirs sont si importants en Haïti qu’on ne peut se permettre de les banaliser en les traitant comme quelque chose de fictif. Le réel est bien là car sous les idées et sous les choses « n’y a-t-il pas cet élément fou qui subsiste, qui subvient, en deçà de l’ordre imposé par les Idées et reçu par les choses? » (Deleuze 1969 :10). Deleuze se demande aussi s’il n’y aurait pas à propos de cet élément fou et des idées : « deux langages et deux sortes de « noms », les uns désignant les arrêts et des repos qui recueillent l’action de l’Idée, mais les autres exprimant les mouvements ou les devenirs rebelles » (1969 :10). Le devenir tire dans deux sens à la fois; il est paradoxal. Le devenir-animal en Haïti tire dans la direction de manger ou de sacrifier et d’être mangé ou d’être sacrifié. Manger ou sacrifier sont des actions qui appartiennent à l’ordre d’un devenir-animal en tant que horde libératrice et être mangé ou être sacrifié appartient à un devenir-animal domestique et réduit à un état d’esclavage. Le devenir-animal en Haïti joue le thème de deux points d’origine : l’instance libératrice de 1804 menée par le groupe des marrons qui avait réussi à se tenir sur la bordure de l’esclavage et le retour au pays des ancêtres ou l’État avec son ordre monothéiste ne lui appartient pas :

Bancs, bandes, troupeaux, populations ne sont pas des formes sociales inférieures.
Ce sont des affects et des puissances, des involutions, qui prennent tout animal
dans un devenir non moins puissant que celui de l’homme avec l’animal.
(Deleuze 1980 :295)

Deleuze (1980) nous indique trois sortes d’animaux. Il y a les animaux oedipiens de Freud. Ces animaux que l’on intègre dans la famille et à qui on fait jouer un rôle complémentaire dans la relation papa-maman-enfant. Ces animaux font partie de la bulle narcissique de l’individu atomisé. Les animaux individués de Jung jouent de leur côté un rôle structurant dans les grands mythes. Ces animaux a caractère ont un pouvoir de représentation de genre, de classification ou d’état d’être. Des modèles archétypaux se forment dans leur devenir et fondent eux-aussi l’événement lorsqu’une société maintient leur production. Une autre sorte d’animaux et qui convient au devenir-animal que l’on retrouve en Haïti, les sentimentaux. Ces animaux sont, selon la catégorisation de Deleuze, davantage démoniaques, ils s’assemblent en bande, et se définissent par l’extériorisation et la libération des affects :

Il y a toute une politique des devenirs-animaux comme politique de la sorcellerie: cette politique s’élabore dans des agencements qui ne sont ni ceux de la famille, ni ceux de la religion, ni ceux de l’État. Ils exprimeraient plutôt des groupes minoritaires, ou opprimés, ou interdits, ou révoltés, ou toujours en bordure des institutions connues, d’autant plus secrets qu’ils sont extrinsèques, bref anomique. (Deleuze 1980 :302)

Le devenir animal et moléculaire haïtien est un devenir de toute-puissance sentimentale qui se réalise, lorsqu’il excède, dans le désir de tuer et que comble la transgression de l’interdit du meurtre. Nous observons le même phénomène en Occident et ailleurs avec la croissance des sectes de magie noire ou avec la production des films d’horreur qui s’en inspirent. Le devenir-animal sentimental est un phénomène anomique universel. Pendant les temps d’arrêt et de paix d’une société ce devenir-animal vit souterrainement et marginalement. Mais lorsque survient l’ordre chaotique qui est rebelle voila que ce devenir remonte à la surface et s’impose au cœur des relations. Dans le contexte haïtien, par les conditions même d’existence de son devenir-animal, le meurtre ne vise pas le colon mais l’esclave. C’est le thème de la libération qui est rejoué entre les esclaves eux-mêmes. La mise en scène nous fait voir l’esclave actant le colon qui cherche à anéantir la force vitale de l’esclave actant l’esclave. Et, ces deux acteurs se déplacent sur un axe central : leur libération. Ce théâtre est une production haïtienne dans un processus de décolonisation qui tire vers un devenir de toute-puissance et un passe de toute-impuissance.

Pwoteksyon mwen se dyab la m’ap sevi. Dyab la se bizango. Dyab la pap ni kote
manmam’m ni papa’m. Se achte, mwen achte li. Se nan sakrifis pou viv. Mwen pas
sevi Ginen, li two fret. Bagay la chok. Mwen danse petwo, mwen genyen tout sans
pou mwen voltije ladan. Mwen sevi Bizango an oktob et an janvye nan Duvalye-
Vil e nan l’Atibonit. Mwen par antre ladan pou fe moun mal men se pou
pwoteksyon pitit mwen, se pou jaden, pou bet mwen rantre. (Femme Varreux 1987)

Ma protection c’est le Diable que je sers. Ce Diable c’est Bizango. Ce Diable n’est ni du cote de maman ni du cote de papa. C’est acheté, je l’ai acheté. C’est dans le sacrifice que je vis. Je ne sers pas la Guinée, c’est trop froid. Cette chose (bizango) c’est froid. Je danse le petro et j’ai tous mes sens pour voler là-dedans. Moi je sers bizango en octobre et en janvier dans la ville de Duvalier et dans l’Artibonite. Je ne suis pas rentré là dedans pour faire du mal aux personnes mais pour protéger mon enfant, pour mon jardin et pour mon élevage.

Les san pwel, les bizango et les zobop sont des groupes anomiques. Ils se vivent sur la bordure et par cela ils sont les lieux premiers d’initiation des oungan et des manbo en Haïti. Leur savoir et le pouvoir de jouissance qui se forment dans l’expérience de cette bordure produisent de la fascination et de la crainte à l’égard de ces initiés. La connaissance qu’ils détiennent sur les possibilités d’actions les plus tragique et les plus obscures chez l’Homme pourrait faire de ces initiés des éléments dynamisants pour la société. Car l’expérience de la bordure c’est aussi celle de lignes de fuite qui déstabilisent l’ordre en place et en expérimentent d’autres. Et le génie se manifeste dans l’intériorisation de lignes de fuite mais ne devient réalisable que dans les temps d’arrêt et les temps de repos. La pensée qui se forme dans la passion trouve sa mobilité lorsqu’elle s’éprouve elle-même dans ses mouvements de dispersion, de tâtonnement et de brisure. L’expérience de la bordure en Haïti est réalisée par ces bandes que les chefs initiés conduisent vers l’exercice de la violence à l’état pur ou la mort est le lieu de jouissance extrême pour la toute-puissance qu’elle leur donne dans le théâtre de la libération :
Celui du devenir-animal :

Ces parcours des campagnes par ces bandes, dont on sait que dans leur existence nocturne et extra-sociale elles sont la personnification même de la violence absolue, de la volonté de toute-puissance aux limites de la mort et de son au-delà, ces parcours des campagnes représentent en quelque sorte les fissures opérées sur le territoire du capitalisme et de la bourgeoisie par cet inassimilable dont le vodou structure sa représentation imaginaire. Ils témoignent de ce que toute société est traversée de part en part par l’étranger, hantée par cela même dont sa survie sociale exige l’élimination. Le Rara, comme les bandes et les sectes secrètes sont ainsi une organisation politique du pulsionnel au travers même de l’espace d’exclusion que constitue une société pour y institutionnaliser la mort de la pulsion dans son passage à la culture et au signe. (Apollon 1976 :195). (Voir J.T. dans Mère et Pouvoir).

La maladie « bon dye » est donnée par Dieu et c’est lui qui décide du destin de l’enfant. La maladie « dyab » est donnée par une personne (de la famille ou non) par envie, jalousie ou par engagement avec les esprits malfaiteurs : « kout poud », « kout le », « kout mo ou kout zonbi ». La maladie « djok » est une peu différente, elle est donnée par le regard, inconsciemment ou consciemment. Un regard trop persistent sur un enfant peut le rendre malade et c’est le oungan qui peut le guérir. Lorsqu’un enfant meurt, les femmes de Varreux examinent leurs stratégies de guérison et les évaluent en fonction de leurs étiologies qu’elles formulent plus clairement après l’événement. On retrouve une constante dans les histoires de mortalité de leurs enfants. Si elles ont consulté le médecin elles disent que la mort de leurs enfants c’est la volonté de Dieu. Mais si leur enfant meurt après avoir consulté le oungan, elles disent alors qu’elles l’ont consulté trop tard. Si elles ont consulté le médecin avant le oungan et que l’enfant meurt peu de temps après la consultation chez le oungan, elles disent qu’elles ont pris le mauvais chemin (celui du médecin). Pour le docteur associé à Dieu par la catégorisation de la maladie, la cause est intouchable; elle ne se la représente pas, ni la veut ni la connaît. C’est le destin, et le médecin est impuissant à défaire le projet de Dieu. Pour le oungan associé au Diable par la catégorisation de la maladie, la cause est visible : elle se la représente, la veut et la connaît. Cette cause appartient à l’ordre des relations de pouvoir et des intérêts égoïstes et matérialistes d’individus. En situation de mortalité infantile, le oungan reste puissant à défaire le mauvais sort. Dans la pensée magique tout s’explique, il n’y a pas de vide de sens mais plutôt et facilement un trop de sens.

« Li mouri si dye vle »; il meurt si Dieu le veut fait donc appel à une volonté sans raison qui désire la mort de son enfant et il ne reste donc qu’à pleurer la malchance. « Se pa mo bon dye »; ce n’est pas une mort du Bon Dieu, cette pensée fait appel à une volonté de trouver la cause dans l’entourage du sujet. La mort d’un enfant qui est causée par les actions malveillantes d’un diable produit des sentiments de suspicion, de victimisation et de haine. Ces sentiments s’apaisent à Varreux dans l’extériorisation de la violence. La maladie du Bon Dieu et la maladie du Diable se définissent l’une par rapport à l’autre et se réfèrent à deux catégories d’institutions qui se vivent en opposition et en relation disjonctives.

La croyance est une position d’extériorité des causes qui sont inférées : « la croyance est l’attente de cet objet ou état de chose, en tant que son existence doit être produite par une causalité externe » (Deleuze 1969 :23). Dieu, les Saints, les Loas, les Esprits malfaiteurs, le Diable sont inférés comme cause des maladies et des guérisons selon les effets (être mangé, être décomposé, être destiné, être affecté) et produits dans des relations (manger, être mangé, décomposer, être décomposé, destiner, être destiné, affecter, être affecté). Dans l’ordre de la logique symbolique les résultats du diagnostic, de l’étiologie et du traitement font appel à la véracité ou à la tromperie.

Le vodou en Haïti a été mis en place par les peuples Bantous et les peuples du golfe de Guinée, plus particulièrement les groupes culturels Mandingues. Les groupes culturels Congo et Angolais ont particulièrement marqué la culture des ancêtres et certaines pratiques de sorcellerie : le terme zombi qui veut dire mort vivant a une origine congolaise, les « paquets-congo » qui sont des « wanga » (objet magique). Les Fon et les Yoruba ont laissé leur trace dans le panthéon vodouesque (Agasu, Ezili, Zaka, etc.) et dans la ritualisation. Chez les Fon, en effet, la transe est au cœur de la ritualisation religieuse qui est lignagère. « Le vodum » c’est Dieu et les servantes des dieux sont appelées comme en Haïti, « hounsi ». Un ensemble d’objets sacrés portent des noms fon : govi pour les cruches, zin pour le pot, ason pour le hochet sacré ainsi que des dieux fort importants dans le vodou haïtien : Legba, Danbala-wédo, Aida-Wédo, etc. (Metraux 1960, Adam 1983, Pierre 1991). Ces éléments des cultures religieuses et magiques de l’Afrique font partie d’un ensemble beaucoup plus complexe de pratiques et de représentations qui sont acte dans le vodou et la médecine créole. Ce qui est important pour notre discussion c’est de mettre en évidence un mode d’appropriation développé par la culture créole dans la composition de sa religion et de sa médecine :

Avant la guerre de l’Indépendance, c’était le chaos : l’ordre de l’Autre, L’Historien nous dit que les Noirs amenés d’Afrique étaient vendus sur la place publique et dispersés dans les « habitations » à travers le pays. Culturellement, ils n’existaient pas. Ils n’avaient pas d’espace et ne vivaient que le temps de l’autre, colon, commandeur, habitation, travail rythme par le fouet et les rares temps de repos. Ils n’avaient pas de langage. Nul autre repère dans le temps et l’espace que ceux de l’organisation coloniale. Il n’y avait ni sujet, ni objet. Ils étaient pure force, énergie libidinale détournée et branchée sur une production qui leur était étrangère. Ils étaient impossibles. (Apollon 1976 :52).

L’africain a été extrait de sa terre natale qui est aussi la terre des ancêtres et sa terre sacrée. L’esclave dans son enchaînement à l’ordre blanc, réduit à exister comme force de travail, méprisé et violenté, va produire une culture qui l’amène en dehors du lieu de son impuissance. Le colon introduit le nègre « païen » à son ordre de « civilisateur » en le forçant à se faire baptiser. Originaire d’un continent où le rapport au religieux est imbriqué dans les pratiques magiques, le nègre-esclave recompose son mode d’insertion au monde en se servant habilement des multiples interdits qui lui imposent l’ordre blanc. Il se sert du baptême pour augmenter sa force vitale que le colon ne cesse de lui enlever. Il recompose sa vision cosmologique et énergétique de la vie en s’ajustant au rythme chrétien qu’on lui impose. Il fête ses dieux en suivant le cycle hebdomadaire et annuel du calendrier chrétien. La Toussaint devient la période de Legba, le 6 janvier celle de Danbala et la Pentecôte est désignée pour initier :

Les sacrements de l’Église, comme le baptême, la communion, etc…sont repensés en termes africains; la fonction qu’on leur connaît, c’est d’accroître la force vitale, de guérir les malades, de fortifier la tête, siège du Vodum. (Bastide 1967 :185)

Le marron va accroître ces dispositifs d’appropriation des éléments culturels de l’ordre blanc en fuyant l’état d’esclavage pour ensuite se définir dans cette extériorité qui lui servira par la suite à renverser l’ordre. Cette position d’extériorité qu’occupe le marron dans le façonnement de sa révolution va marquer profondément la pratique du vodou et de sa médecine. L’histoire monumentale nous raconte la nuit du 14 août 1791 comme l’événement religieux et magique qui souda les forces collectives en une horde guerrière irréductible contre l’esclavage et la puissance des blancs (Dorsainvil 1934). Ce moment de grande exaltation libératrice, encore fortement ritualisé, c’est la cérémonie du Bois-Caïman. Le vodou s’est structuré dans cette pratique de libération pulsionnelle, il est un lieu d’appropriation, de transgression et de libération. Sa médecine va se structurer sur la même trame : remettre en place la force vitale pour qu’elle puisse s’inscrire dans les pratiques symboliques qui augmentent le pouvoir de jouissance : la santé dans la médecine créole n’est pas l’état de bien-être et n’a rien a voir avec la production. Le vodou et la médecine créole sont des institutions qui appartiennent à une économie rituelle et qui fonctionnent sur la logique de la fécondité. La notion de santé est liée aux principes énergétiques et cosmologiques qui animent le rapport de la culture créole au monde et aux dieux.

Cet espace de transgression est fondamental à comprendre pour saisir à la fois la force et la beauté du vodou et en même temps saisir ses lieux de plafonnement et de déclin. Le génie haïtien se manifeste dans cet ordre de transgression et à chaque fois que la médecine haïtienne occidentale se comporte à la manière du colon, elle réactive cette habileté d’appropriation du créole. La transgression dans le vodou se joue d’abord par l’appropriation d’une partie du savoir religieux du catholicisme. Les oungan les plus puissants en Haïti sont ceux qui sont initiés à la magie blanche par la Franc-Maçonnerie et à la magie noire par les sectes lucifériennes. Ce sont la deux ordres magico-religieux appartenant à la tradition chrétienne. L’incorporation dans une structure de redoublement du calendrier des fêtes catholiques, des représentations picturales des saints, des sacrements tels que la communion, la confession et l’action de grâce sont un premier niveau de transgression.

Il faut être catholique pour être vodouisant c’est devenu une phrase classique pour témoigner du mélange catholique-vodou. Au moment où le vodouisant s’approprie une part de la représentation et du rituel catholiques, il les réaménage et les réinterprètes selon le rapport qu’il entretient à ses dieux, au monde et à lui-même. Le vodou s’inspire du catholicisme et dans son acte d’appropriation il se différencie, s’individualise et s’autonomise. En cela le vodou n’est pas syncrétique si ce n’est au moment de son appropriation. La religion catholique en Haïti a depuis les années 60 reformulée ses rites en s’appropriant une partie du savoir de la religion vodou : tambour, rythme et langue. Au moment de son appropriation, l’Église catholique était syncrétique en regard du vodou, mais dans l’acte d’appropriation elle s’individualise et devient autre chose. Il se passe quelque chose de similaire avec la médecine créole qui s’est appropriée de nombreuses technologies de guérison. La notion de syncrétisme porte en elle la valeur de plus petit par rapport à une forme pure qui est imagée. L’usage de cette notion de syncrétisme pour définir une pratique produit un effet de dévaluation. Quelles sont les formes de mélange qui induisent un devenir-haïtien et quelles sont les autres qui enferment dans l’histoire?

Au moment de l’esclavage, le vodou a été structuré dans des conditions de répression extrême et les vodouisants sont totalement mobilisés à retrouver leurs racines ancestrales et à conquérir leur liberté. Ce sont les conditions de formation de l’appropriation-transgression qui permettent à Bastide de parler du vodou en tant que forme « nativiste » :

On indique par ce terme tout effort, accompli par un peuple que l’acculturation met en crise, pour éliminer de sa propre culture les éléments hétérogènes déjà assimilés ou en voie de l’être : c’est, en d’autres termes, une nouvelle découverte et une défense du patrimoine natif en face d’une autre culture. Cette tendance nativiste est presque toujours liée à des sous tendances caractéristiques, que l’on peut réduire à trois : une prise de conscience raciale, qui, dans la plupart des cas, se manifeste en des sentiments de haine ou de méfiance a l’égard des Blancs; des manifestations d’un nationalisme primordial : comme effort pour parvenir à la liberté et à l’autonomie et même en connexion avec cette aspiration, la recherche d’une unité régionale, transcendant les inimitiés traditionnelles et les différences linguistiques. (Bastide 1960 :235).

Ce concept de nativisme a certes le mérite de nous referer aux conditions de formation du vodou mais il empêche d’ouvrir le vodou a son devenir. Lorsque les conditions de formation d’une institution servent aussi à la définir, le discours produit une pratique de retour continu à l’origine. En effet, s’en tenir à cette forme nativiste réconforte un emprisonnement dans l’histoire et freine ou détourne les mouvements de rupture. Je préfère l’interprétation d’Apollon qui ouvre le regard sur l’actualisation du vodou dans ses habiletés d’appropriation et de transgression.

Le vodou est actuellement dans son déclin à cause de sa folklorisation, de la pénétration de l’éthique duvaliériste et macoute dans l’espace de sa pratique et dans son affrontement paradoxal avec les autres obédiences religieuses. Le déclin est un mouvement vers une fin mais nous n’en sommes pas encore là. La religion vodou et la médecine créole peuvent en transformant leur rapport à l’histoire, inspirer des mouvements de rupture totalement nouveaux :

Ce qui n’arrive pas à venir au jour d’une économie politique et d’une culture sans honte, c’est un langage social qui serait le lieu d’une vérité historique, celle d’un passé, celle d’un présent, où nous puissions nous reconnaître dans une authenticité qui ne renie pas nos attaches africaines, françaises et américaines mais en diffère. (Apollon 1976 :88). (J.T.)

mardi 7 août 2007

QUI EST L'HOMME VIOLENT? (C.H.O.C.)


Le premier élément à retenir est que l'homme batteur ne présente aucune caractéristique démographique ou professionnelle particulière. L'associer à une classe sociale précise entre autres à la pauvreté ou au manque d'éducation, représente une erreur. Le portrait de la grosse brute mal équarrie et qui fait peur est une intervention populaire qui nous empêche de voir la réalité. L'homme violent se retrouve dans toutes les couches de la société et ce proportionnellement à la distribution des divers groupes et sous-groupes sociaux.


Deuxième élément: l'homme batteur n'appartient pas à la catégorie de ceux qu'on classe habituellement comme "malades mentaux" ni davantage à celle des sociopathes" ou des "psychopathes". Non, hormis le 10 à 15 p. cent d'hommes qui de toute façon ont des problèmes sérieux de violence généralisée ou de santé mentale, la masse des hommes violents est composée d'individus dits "normaux". Si on fait abstraction de l'abus physique dont ils font montre à l'égard de leur partenaire, on les trouvera bien adaptés à leur milieu, sans trait distinctif marquant par rapport à la norme. Il s'agit là d'un aspect trompeur qui peut nous faire sous-estimer la gravité des agressions commises ainsi que le besoin d'aide réel de ces hommes.


La caractéristique la plus fréquemment rencontrée chez les hommes violents est d'avoir été pour la très grande majorité, victimes eux-mêmes de violence physique dans leur enfance, sinon de violence verbale ou émotive, ou à tout le moins fréquemment exposés à des scènes de violence physique entre leurs parents ou auprès de leurs frères et soeurs. De nombreux chercheurs mentionnent l'existence de l'expérience de la violence durant l'enfance. D'autres soulignent que certains hommes violents ont été abusés physiquement ou sexuellement.


Un trait marquant des hommes agresseurs est leur tendance à faire porter le poids de la responsabilité de leurs gestes sur les autres. En général, l'homme violent sera porté à nier sinon à minimiser sa participation dans les actes qu'il a posés. Il cherchera à blâmer les autres pour ses actions, accusant entre autres sa victime de l'avoir provoqué. Ce trait accentue son insensibilité. L'homme est centré sur lui-même et un peu conscient des effets de ses actions sur les autres.


Les hommes violents ont beaucoup de peurs reliées à ce qu'il est convenu d'appeler la "fusion" et la "dépendance". Ils sont dans beaucoup de cas possessifs et craignent par-dessus tout la perte de l'être aimé. Peu sécures dans leurs univers émotifs, ils ont peine à accepter la "distance", "l'autonomie" de l'autre, et vont chercher par tous les moyens à raffermir leur contrôle sur la personne aimée. Leurs besoins émotifs sont ramenés à cette partenaire qui se retrouve ainsi sur-investie et vue tantôt comme un ange, tantôt comme une sorcière.



Les hommes batteurs ont une définition rigide et une conception traditionnelle des rôles de l'homme et de la femme. Ils sont pris dans une conception étroite de ce qu'est un homme et de ce qu'est une femme. Plusieurs voient la femme comme un être inférieur, comme quelqu'un à posséder. Ils sont coincés dans une définition étroite du rôle d'homme qui leur est enseigné. Ils se sentent directement menacés par toute modification de cette image traditionnelle à laquelle ils cherchent à s'accrocher à tout prix pour maintenir leur estime d'eux-mêmes. Les hommes violents sont aux prises avec une éducation qui a renforcé d'une manière rigide des comportements stéréotypes qui incitent à la coercition (Purdy et Nickle, 1981). Leur relation de couple est établie sur un mode de domination car comme le soulignait Larouche (1985), les stéréotypes reproduisent les rapports dominants/dominés entre les hommes et les femmes.


Une faible estime de soi est aussi une caractéristique qu'on retrouve chez la plupart de ces hommes. La majorité des hommes agresseurs ne se sentent pas bien par rapport à eux-mêmes et à leurs comportements. Ils vivent beaucoup du culpabilité et un fort sentiment de dévalorisation quant à leur personne. Cela seul ne suffit cependant pas à modifier leur comportement, au contraire. En effet, selon Elbow (1977), plusieurs hommes deviennent violents lorsqu'une image peu favorable d'eux-mêmes leur est projetée.


Un élément qu'on relève chez l'homme violent à un degré encore plus marqué que chez la majorité des hommes est sa très grande difficulté à percevoir ses émotions et à les verbaliser. Selon Larouche (1985), le manque d'habileté de l'abuseur à exprimer ses états émotifs est la caractéristique dominante qui émerge de son profil. L'intégration du rôle masculin associé à la force, à la cesure des états émotifs et à la domination favorise l'emploi de la violence comme solution aux conflits conjugaux (Strauss et al., 1980).


Notons enfin que lorsqu'il sent basculer son ménage ou encore lorsque sa conjointe menace de le quitter, il devient un sujet de prédilection pour le suicide ou l'homicide. Cette tendance au suicide ou à l'homicide est fréquente chez ces hommes et doit être considérée avec beaucoup de sérieux.





LES FACTEURS SOCIAUX RELIÉS À LA VIOLENCE CONJUGALE


Les facteurs sociaux ne sont pas à sous-estimer. La violence a beau se vivre au niveau interpsonnel, elle trouve son prolongement dans la société. Selon Dobash et Dobash (1978), notre société patriarcale a accordé à l'homme un droit de contrôle et de domination vis-à-vis sa femme. De plus, l'existence de normes sociales implicites acceptant la violence de la part des hommes contribue à attiser l'expression de cette violence sous toutes ses formes. (Wardell, 1983). Les sentences dérisoires (Hodgins et Larouche, 1980), imposées aux hommes qui battent leur femme constituent en soi une acceptation tacite de cette violence de la part de la société. Mentionnons enfin l'acceptation généralisée de la violence dans notre société comme mode de rapport jugé admissible dans les conflits politiques, les sports, les films, la télévision, la musique, etc.


Le modèle que nous employons est axé sur la reconnaissance, la responsabilité individuelle, l'arrêt du comportement de violence physique, l'apprentissage de nouveaux modes relationnels et l'acquisition de modèles masculins différents.




UNE INTERVENTION DE GROUPE



  1. de développer chez les hommes une sous-culture où la violence est désormais perçue comme néfaste et exclue; grâce à cette sous-culture, l'homme peut se sentir appuyé dans l'adoption d'un nouveau comportement non-violent;

  2. de contrer plus facilement les mécanismes de défense primaires que sont le déni et la minimisation. Il est plus facile de persister dans sa version des faits lorsque l'on a affaire à une seule personne qu'à six ou sept. Qui plus est, les abuseurs sont de beaucoup plus perspicaces que les thérapeutes pour ce qui est de dépister les faux-fuyants.

  3. de développer de nouveaux modèles pour l'acquisition des rôles. Les moniteurs ne sont plus les seuls à servir de modèles. Progressivement, les autres membres du groupe servent de modèles qui permettent de développer et de renforcer l'acquisition de nouvelles normes chez les hommes.

  4. d'expérimenter et d'adopter de nouvelles normes. Le groupe devient un lieu où il est possible aux hommes d'exprimer leurs sentiments et recevoir support et valorisation en retour.

  5. de combattre l'isolement social. Le partage des sentiments profonds avec d'autres aide à briser l'isolement social que plusieurs hommes ressentent. Les hommes sont par ailleurs encouragés à maintenir des liens entre eux en-dehors des rencontres de groupe.

  6. de pratiquer de nouveaux comportements. Plusieurs occasions sont offertes aux hommes dans les jeux de rôle, les mises en situation, les confrontations avec les pairs, de pratiquer des modes nouveaux de comportement.

  7. l'entraide et le support mutuel. Les hommes reçoivent l'appui des membres du groupe et donnent le leur. Ils découvrent aussi qu'en aidant les autres, ils améliorent considérablement leur estime d'eux-mêmes.

  8. d'atteindre une meilleure individuation. Les nouvelles relations qu'ils tissent avec les membres du groupe permettent aux hommes de prendre une certaine distance par rapport à leurs conjointes et de mieux se percevoir comme personnes distinctes d'elles.


En bref, regrouper les hommes entre eux représente un élément fondamental de la stratégie thérapeutique que nous employons. Les hommes ainsi regrouopés sont invités à s'entraider, à se supporter et à se solidariser sur d'autres bases que celles vécues antérieurement. Le partage de leur vécu d'abuseur favorise la prise de conscience de la violence faite aux femmes et la reconnaissance des origines de leurs comportements. Le groupe permet par ailleurs de percer plus facilement les mécanismes de défense tels le déni et la minimisation. Assez rapidement, les hommes deviennent davantage conscients de leur propre soufrance et de celle qu'ils infligent à leur conjointe et leurs enfants. Cette prise de conscience doit être utilisée non pas pour déculpabiliser l'agir violent mais plutôt pour confronter l'homme violent aux conséquences sur lui-même et les siens de son comportement. Les hommes sont alors dirigés vers l'apprentissage d'un meilleur contrôle de leur colère. Tout au long de leur démarche, les hommes sont invités à se confronter les uns aux autres et en même temps encouragés à se soutenir dans leur difficile intégration de nouveaux comportements.



L'IMPORTANCE DE TRAVAILLER À AMÉLIORER L'ESTIME DE SOI ET LA CAPACITÉ DE S'AFFIRMER.


L'intervention de groupe vise plusieurs objectifs dont un essentiel est celui d'améliorer l'estime de soi et la capacité de s'affirmer des individus. Travailler à augmenter l'estime de soi est vital car de nombreux hommes deviennent violents lorsqu'ils sont confrontés à une image peu favorable d'eux (Elbow, 1977). Un des moyens que nous utilisons consiste à renforcer l'homme violent dès qu'il adopte un comportement positif relativement au contrôle de sa violence. Il reçoit ainsi beaucoup de renforcement positif dès qu'il démontre qu'il a réussi à intégrer une des techniques de contrôle de la colère. Nous amenons aussi l'homme violent à explorer ce qui se cache derrière la piètre estime qu'il a de lui-même. Bien souvent, l'homme violent a durant son enfance été brutalisé, humilié, ridiculisé, ce qui lui fait perdre confiance en lui-même et l'a amené à douter de sa valeur personnelle. Il s'efforce de cacher cette image détériorée de lui-même. De surcroît, il lui manque les habiletés nécessaires pour exprimer adéquatement ses états émotifs (Larouche, 1985).


L'objectif d'enseigner à l'homme violent de nouveaux comportements affirmatifs non violents est fondamentalement à cause des comportements de colère, d'insécurité, de jalousie et de possessivité qui sont siens au départ (Hilberman, 1980).


Ces objectifs de consolider l'estime de soi et d'apprendre des comportements affirmatifs ne peuvent être réalisés que si les participants acceptent de vouloir mettre fin à leurs comportements de violence physique et choisissent de travailler à modifier leur mode de rapport avec leur conjointe (C.H.O.C.).

samedi 4 août 2007

PROGRAMME : ISM-DS Développement Social


Il est possible de faire de notre milieu de vie scolaire un lieu où il fait bon vivre, où il est possible de se développer comme personne et comme groupe. Oui, il est possible de créer un milieu convivial, chaleureux et intéressant parce qu'il fait sens dans notre existence. C'est possible parce que nos milieux de vie sont construits par nous. Nous les construisons, par notre façon de dire et de faire nos relations, et cela nous l'oublions avec aisance dans le feu de l'action.


Certes, nous vivons à une époque dans laquelle il faut composer avec des espaces de vie quotidienne qui sont multiples et fragmentés, mais nous pouvons en faire une synthèse dynamique et féconde qui enrichit l'ensemble de nos relations parce que nous participons de plein pied à leurs transformations. À certaines époques, dans une société, vient le temps de passer en jugement notre façon de fonctionner dans nos relations, et ainsi nous pouvons réenligner nos projets de développement (individuel et collectif) en direction des conditions de vie que nous désirons pour assurer une qualité de vie à l'école.


Les situations de conflits ou de décrochage scolaire et social peuvent être utilisés comme occasion de renouvellement des conditions d'existence en milieu scolaire. L'organisation du programme s'appuie sur une conception de groupe en tant que système d'entraide mutuelle, où professeurs, employés de soutien, personnel cadre et étudiants se donnent, par leur regroupement, la possibilité de partager leurs expériences, leurs difficultés et leurs malaises face à des situations conflictuelles en vue de les transformer.





OBJECTIFS:


L'objectif général du programme est de réintroduire dans l'école un fonctionement qui soit acceptable pour tout et chacun et qui favorise avec plus de puissance, de sens et de créativité le développement personnel et collectif. Cet objectif qui passe par une réappropriation du milieu de vie, procède des objectifs intermédiaires suivants:



  1. Reprendre confiance en ses capacités personnelles et sociales (estime de soi).

  2. Prendre contact avec ses forces, ses limitets, ses besoins et ses aspirations.

  3. S'impliquer dans les échanges fructueux avec ses pairs.

  4. Concevoir, mettre en place, évaluer et ajuster les actions visant la résolution des problèmes sociaux qui existent dans mon milieu de travail, et ceci avec le support et l'aide de ses pairs.


LE DÉROULEMENT


Le programme se déroule sur 10 semaines consécutives. Chaque séance est d'une durée de deux heures et demi et elle est préparée et planifiée soigneusement afin de rentabiliser au maximum le travail fait en groupe. Le travail qui est fait en groupe est redoublé d'un travail individuel hebdomadaire réalisé dans le milieu scolaire. À chaque semaine les participants sont amenés à faire le compte rendu de leur expérience.


Ce nombre de rencontres nous apparaît suffisant pour amorcer un changemnet significatif tout en évitant "d'essouffler" les participants. En fait, ce nombre s'inscrit dans les paramètres de l'intervention à court terme.


Ce groupe de travail est composé de 10 à 15 personnes qui s'engagent pour la durée du programme. Le groupe fermé permet une continuité qui facilite le développement de liens de solidarité entre pairs et qui contribuent à maintenir la motivation.





LA DÉMARCHE PROPOSÉE


Le Groupe ISM-DS propose une perspective de travail qui fait alterner:Des activités personnelles axées sur un objectif de positionnement professionnel par rapport aux problèmes étudiés.


Des activités de pratiques centrées sur un objectif d'approbation d'outils d'interprétation et d'action qui permettent de solutionner les problèmes sociaux dans le milieu de travail.

Des activités intellectuelles centrées sur l'acquisition de connaissance qui instrumentent un renouvellement heureux du milieu scolaire.


Les intervenants utilisent des outils d'animation diversifiés (jeux de rôle, activités de classification des valeurs, échange sur des textes, des propositions de stratégies d'action, etc.) afin d'enrichir de façon dynamique et féconde les échanges, les prises de conscience et le production des conditions permettant des transformations.



NOTRE RÔLE EN TANT QU'INTERVENANT


Les séances du programme sont co-animés par deux intervenants sociaux. C'est une formule qui présente plusieurs avantages; les tâches sont partagées, l'évaluation de la dynamique de groupe est plus facile, l,es perspectives sont plus diversifiées. De plus, nous pouvons, les co-animateurs, nous entraider ponctuellement pendant le déroulement des séances.


Notre rôle consiste principalement à animer les rencontres, à agir comme personnes ressources et à assurer la continuité de la démarche. Notre présence est plus active au début du programme afin de témoigner du caractère structuré du programme et de fournir aux participants des connaissances qui leur permettent de renouveler leurs interprétations et leurs actions sur les problèmes discutés. Au fil des rencontres notre rôle devient de plus en plus effacé et secondaire; ceci afin de soutenir la production des stratégies d'action par les participants eux-mêmes. Cette perspective d'intervention amène les participants à poser les conditions de production de leur milieu de vie scolaire pour en faire une lieu d'existence dans lequel il fait bon vivre.



1 -PREMIÈRE RENCONTRE


La première rencontre est un moment d'informations, de prise de contact et d'engagement. C'est une étape importante car c'est au terme de celle-ci que les participants décideront s'ils poursuivent la démarche. Cette rencontre se déroulera selon un ordre du jour précis. Ce caractère formel contribue à atténuer l'inquiétude des personnes; ils peuvent constater que la démarche qui leur est proposée est bien structurée et que nous sommes en mesure de contrôler la situation.


Le contenu de cette rencontre sera agencée de façon à amener les différentes personnes présentes à s'impliquer graduellement sans qu'ils se sentent menacées. La première partie est essentiellement informative:


  • philosophie du programme

  • objectifs visés

  • règles de fonctionnement et d'implication attendus des participants.
En deuxième partie, pour "briser la glace", les participants sont invités à donner leur avis sur des énoncés généraux formulés à la première partie. Ces énoncés indiquent des problèmes vécus dans le milieu scolaire, et que les participants désirent traiter dans le programme. Cette activité se fait sous forme de jeu, les participants pigent au hasard une carte sur laquelle est inscrite une phrase et sur laquelle ils doivent se prononcer. Le caractère ludique de l'activité détend l'atmosphère et diminue la méfiance.


Tout au long du programme, l,es participants travaillent de façon constante sur les problèmes sociaux qu'ils désignent à la première rencontre, et qui à la deuxième rencontre sont réaffirmés comme choix. Cette démarche permet d'éviter la dispersion.


Chaque séance se termine par la proposition d'un travail personnel que les participants réalisent pendant la semaine. Le travail proposé a comme objectif de renforcer le processus d'approbation des problèmes sociaux du milieu et la mise en place des conditions de transformation des situations conflictuelles.





À PROPOS DE LA PAUSE CAFÉ


Chaque séance de travail en groupe est entrecoupée d'une pause café de 20 minutes. Cette pause constitue en fait beaucoup plus qu'un moment de répit; elle est une occasion de contact informel entre les participants. En ce sens, la pause café représente une composante importante du processus.


C'est l'occasion de consolider certains liens, de se rencontrer et de se rappeler des anecdotes amusantes. La pause est un moment privilégié pour développer la "culture" du groupe.




2 - PREMIÈRE SÉRIE DE RENCONTRE


Cette première série de rencontres concerne principalement la composante affective du processus: partage de ses émotions, expériences, difficultés, succès, interprétation des situations conflictuelles et des tensions négatives dans les relations, etc.


Pendant cette première série de rencontres et en première partie, l'objectif visé est de favoriser les manifestations d'aide mutuelle entre les participants. Notre rôle en tant qu'intervenants est de donner aux participants l'occasion de travailler ensemble sur les difficultés qu'ils rencontrent dans leur milieu.


La deuxième partie de ces rencontres touche le volet cognitif. Par les informations échangées, les participants sont amenés à interroger les interprétatitons des problèmes rencontrés dans le milieu. Pour ce faire, chaque participant témoigne sommairement de ses réflexions au groupe. Cette démarche permet aux participants de vérifier leur aisance à s'exprimer en groupe, et surtout de leur permettre de percevoir les similitudes entre les expériences diverses qui sont relatées. Cet exercice débouche sur la prescription de l'observation systématique au cours de la semaine suivante de comportements qui font problème dans les relations.


À la deuxième rencontre, les informations concernant les objectifs, les moyens et les règles de travail de groupe sont remises par écrit aux participants. La sanction par contrat de la participation attendue d'eux est demandée aux participants afin de pouvoir contribuer à faciliter la mise en place du processus d'entraide.




3-DEUXIÈME SÉRIE DE RENCONTRE



Le travail cognitif se poursuit tout en étant complété par une sensibilisation au processus générique de solution de problèmes (observation, analyse, élaboration, planification, réalisation, évaluation) et par une application du processus.


Les exercices d'application des solutions imaginées permet d'aborder la composante comportementale du processus. Même si la réalisation de l'action est individuelle, l'analyse des comportements observés, l'élaboration des stratégies d'action, leur planification et leur évaluation se font en groupe. Cette démarche favorise l'émergence de la complicité et de la solidarité entre les participants.




4-LA DERNIÈRE RENCONTRE

La phase finale est très importante en intervention brève; c'est le moment pendant lequel nous identifions et relançons les compétences nouvelles, où le processus d'apprentissage de la résolution de problèmes est activement confirmé et renforcé.


Pour faciliter la séparation, la dernière rencontre est structurée différemment des autres. D'abord, les participants reçoivent la consigne de ne pas parler des autres, devant se limiter à parler d'eux-mêmes. Pendant cette première partie, ils sont invités à faire un retour sur leur démarche dans le groupe et à formuler une évaluation du programme.



La seconde partie, plus informelle, prend la forme d'une fête en hommage à la tenacité et au courage des participants. Ce rituel de séparation facilite l'expression des émotions. Cette étape permet de consolider la détermination des participants à poursuivre les changements amorcés.



RAPPORT SYNTHÈSE

Les institutions qui font appel à nos services reçoivent notre rapport d'évaluation pour chaque programme appliqué dans un groupe. Elles pourront aussi, sur demande et moyennant un certain coût, avoir accès aux résultats de nos recherches.



Le Groupe ISM-DS peut vous proposer, sur demande, d'autres programmes pour intervenir auprès:




  • Des jeunes aux prises avec des problèmes de violence

  • Des jeunes en processus de décrochage social et scolaire

  • Des jeunes issus de familles immigrantes qui vivent des problèmes d'identité et d'adaptation sociale et culturelle

  • Des jeunes aux prises avec des problèmes de toxicomanie



  • Des parents qui sont aux prises avec des problèmes sociaux et culturels de leurs enfants

  • Des parents aux prises avec des problèmes de violence de leurs enfants

  • Des parents qui veulent mieux encadrer et mieux soutenir leurs enfants dans leur processus de scolarisation

Le groupe ISM-DS répond aussi aux besoins spécifiques des écoles et des commissions scolaires.