mardi 13 octobre 2009

LA MARGINALISATION - 2e partie

Sans grande prétention, il semble relativement facile de reprendre ces idées déjà connues et de montrer que les interventions thérapeutiques de notre société sur la folie demeurant cohérentes avec nos façons d’organiser le travail et l’assemblage des rapports sociaux. Par contre, il me paraît plus prometteur et peut-être à long terme plus productif de suggérer l’exploration d’un argument différent, apparemment moins connu et possiblement excessif, et qui par certains aspects inverse celui d’Ellen Corin.


En deux mots, cet argument contradictoire dirait que ces sociétés autres, qui semblent connaître tant de succès dans le traitement de la folie, réussissent parce qu’elles marginalisent la folie beaucoup plus que nous. Et que notre échec ne proviendrait donc pas d’une quelconque marginalisation sociale appuyée par nos institutions. En d’autres termes, ces sociétés autres réussissent parce que très largement intolérantes, alors que nous ne sommes même plus certains du lieu de la tolérance.


L’argument suit très librement la thèse avancée par Baudrillard (1983), selon qui tout système social connaîtrait un point limite au-delà duquel il entre dans la non-contradiction, dans sa propre contemplation éperdue, dans l’extase. Un point où l’univers devient voué aux extrêmes plutôt qu’à l’équilibre, où la logique du social atteint son extrémité et entraîne l’inversion de ses finalités, l’inertie, l’extase et l’extermination.


Ce mouvement vers l’inertie présente quelques grands symptômes. Peut-être d’abord, la saturation (des arguments comme de l’information), qui devient excroissance et cancer. Puis, il y a ce que Baudrillard nomme l’obscène : la disparition de la « scène », des lieux sociaux identifiables et localisables. Par exemple, quand tout devient politique et que le politique est à trouver partout; comme l’a montré dans le passé la menace d’une bombe dans le métro de Toronto, au printemps de 1985, revendiquée comme partie de la campagne de protestation de certains groupes arméniens contre le génocide de l’administration turque en 1915. Le politique, tout comme le culturel, l’économique, le sexe, le social, le religieux et le reste, a maintenant tout envahi et on a ainsi atteint le point d’extension maximale de ces catégories autrefois distinctes et spécifiques. Et quand tout devient « politique », cela marque en même temps la fin du « politique » comme significatif. Le social, comme le sexe, n’est plus dans le social ou dans l’activité sexuelle, il déborde partout, entre partout, envahit tout. Comme dit Baudrillard, finie la socialité polie, cérémonieuse, mythique et transcendante, c’est maintenant la socialité immédiate, totale, donnée d’emblée, celle du rapprochement, du contact et du tutoiement. Nous nous croyons maintenant tous devenus des travailleurs sociaux. C’est le triomphe de la promiscuité et l’effacement de la distance. Et parce qu’il n’y a plus de responsables identifiables, nous le sommes tous. La responsabilité est devenue illimitée et indéterminée et tous nous pouvons donc servir d’otages… même les usagers du métro de Toronto. Nous appartenons maintenant à une société à responsabilité illimitée.
* à suivre *

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