samedi 19 janvier 2008

UN CONFESSIONNAL BURLESQUE

Notre télévision se transforme en un confessionnal burlesque et un organe de surveillance généralisée. Nos prêtresses et nos prêtres du vécu nous offrent à voir et à entendre à la télévision des masses d’émotions, molles et tristes. Shehaweh nous révèle un rapport à l’histoire complètement traversé par la culpabilité et la plainte exprimées par des individualités souffrantes et seules. Cela n’a rien à voir avec l’histoire mais bien avec l’imaginaire du québécois des années 2000 qui s’est enfermé dans une bulle narcissique. Chaque jour, à la télévision, nos émissions « thérapeutiques » (Parler pour parler, Les retrouvailles de Claire Lamarche, Pourquoi ? de Jean-Luc Mongrain) nous amènent à comprendre le monde à l’intérieur des récits de vie gonflés par l’hégémonie du « MOI ».

Même nos émissions d’information s’y laissent prendre lorsque les journalistes se livrent au culte du nom de l’auteur en personnifiant à outrance les conditions de production d’une œuvre. La télévision nous renvoie avec obstination dans l’intime individualisé comme cause et effet des problèmes socio-économiques. Il y a au Québec un totalitarisme de l’individualité qui nous empêche de pouvoir repenser notre vie sociale en fonction des changements qui s’opèrent sous nos yeux.

La confession privée ou publique est un des dispositifs de pouvoir qui a permis le développement d’une telle expression culturelle. De toutes sortes de façons, les québécois se livrent à la confession, faisant de la transparence individuelle une règle de base pour le fonctionnement des relations sociales. Il y a quelque chose d’indécent dans notre manière de concevoir l’individualité au Québec dont il faut nous affranchir pour resensualiser la relation de la personne avec la société.

La société québécoise est psychologisée et médicalisée à outrance. Les québécois sont continuellement renvoyés au pathos et à la santé pour normaliser leur conduite et ils sont excessivement responsabilisés dans leur individualité face au dysfonctionnement des relations sociales. Aussi, il y a quelque chose d’impossible pour le développement de notre société de privilégier l’exhibition du vécu personnel comme discours social. A force de s’interpréter qu’à la lumière des récits de vie, la culture québécoise se ramollit et se désapproprie de son pouvoir de mettre son imaginaire au service de sa vie sociale. La transparence des québécois est une condition de base pour que fonctionne la confession comme dispositif de pouvoir. Et, actuellement, cette disposition culturelle à la transparence permet au québécois de se livrer tout entier au contrôle d’une police anonyme.

L’utilisation de la confession comme moyen de surveiller et de normaliser les conduites des québécois relève d’une pratique historique. En effet, dès le début de la colonisation au Québec jusque dans les années 50, la confession est aux mains du pouvoir religieux comme moyen d’intrusion dans l’intimité par lequel il exerce un contrôle sur les consciences. A l’affaiblissement du pouvoir religieux correspond un déplacement de cette forme de pouvoir dans l’espace médical, comme l’a si bien démontré Michel Foucault. On éffectue dès lors une transposition des pôles de normalisation du bien et du mal sur la grille biomédicale du pathos et de la santé. Les nouveaux lieux de confession sont d’abord administrés par les médecins et les psychiatres, puis dans l’élargissement des interventions médicales, les psychologues et les travailleurs sociaux viennent à partager ce pouvoir de normalisation. Le rôle de la confession médicalisée dans la formation d’une conscience individualisée qui s’auto-discipline, s’auto-contrôle et améliore son rendement dans l’ordre capitaliste-libéral, est extrêmement important. Plus le processus de médicalisation s’affine, plus l’individu finalise l’enveloppement dans sa bulle « oedipienne », plus il se sépare des autres et plus il se soumet à l’expertise des professionnels biomédicaux. Le moindre petit problème chez ce québécois dans son rôle de parent, d’amant, de travailleur et de vivant est confessé à ces experts médicaux, analysé et soumis à des mesures correctives, thérapeutiques ou punitives.

Les alternatives en médecine ont démocratisé la confession, en ce qui a eu comme effet de consolider la transparence individuelle comme mode d’être et d’en faire une caractéristique importante du fonctionnement de la culture québécoise. Les décennies 70 et 80 sont une période d’affinement de la pratique sociale de l’individualité au Québec. La souveraineté de cet individu s’est édifiée par la survalorisation de l’autonomie de la responsabilité individuelle, du droit, de la conscience et de la croissance. Pour ce faire, la culture québécoise a détrôné Dieu et le Père pour y asseoir l’Individu. Malgré cet exploit plein de possibilités pour l’imaginaire sociale, ce souverain s’est séparé des autres, s’est enfermé dans sa petite bulle se retrouvant plus interdit qu’il n’a jamais été face a ses problèmes.

La diffusion des codes biomédicaux de normalisation s’est affinée grâce aux alternatives en médecine. Elles ont permis un nouveau champ d’application de ces codes : les relations intimes avec leurs activités de détente (massage, transe, danse, etc…). Cet élargissement de la médicalisation marque l’aboutissement d’un long processus d’intériorisation sociale des codes biologiques de normalisation. Les alternatives en médecine s’étaient formées dans les années 70-80 pour résister au bio-pouvoir mais aujourd’hui en 2007, il est triste de constater qu’elles ont en fait consolidé ce pouvoir. Au nom de la biologie, l’homme n’est plus qu’un être de besoin ou un être de consommation promis à une grande bouffe lorsqu’il sera infiniment autonome, infiniment conscient et infiniment excellent. Nous ne sommes pas loin du judéo-chrétien qui, avec sa culpabilisation nous dirigeait dans le labyrinthe de la perfection du juste, du bon et du sacrifice.
(J.T.)

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