jeudi 10 avril 2008

PETIT COUP D'OEIL SUR L'IMMIGRATION - 2e partie

Je reprends à mon compte la pensée de Filepe Baptista dans un discours lors d’un symposium tenu à Montréal, voilà quelque temps sur l’immigration.

Sur le plan des valeurs, l’immigration a toujours été perçue comme un handicap, une mésadaptation sociale, un échec social plus ou moins grave, alors qu’il s’agit tout simplement de la recherche pure et simple d’un mieux-être afin de trouver, bien souvent, une dignité perdue d’être humain, d’acquérir, en somme, les conditions optimales de réussite sur le plan personnel et social.

Il ne faut pas oublier non plus que les immigrants, parvenus à se faire une place dans une nouvelle société, se trouvent souvent isolés et ne participent pas ou peu aux décisions qui fixent leur existence dans la mesure où ils ne sont intégrés aux nouvelles sociétés que par le biais du travail.

De plus, l’immigrant déraciné n’a pas d’appartenance, ni au pays d’origine ni au pays d’adoption. Il passe par une phase psychologique où il n’est ni d’un côté ni de l’autre. Cette phase peut être très longue s’il ne trouve pas les moyens de s’intégrer. S’il perd ses points de référence, il ne peut pas être actif dans son nouveau milieu.

Venir d’ailleurs

Mais pour mieux saisir l’immigrant et le mécanisme qui donne tout le sens à son comportement, il faut le situer dans un contexte social plus large de production. En termes économiques, l’immigrant représente une force de travail, une monnaie d’échange économique. Sur ce plan, il transforme son « savoir-faire », ses habiletés en monnaie d’échange économique.

Ce faisant, il élabore un certain nombre de valeurs par lesquelles il doit être reconnu socialement. Être reconnu veut dire participer à tous les niveaux de la structure du pouvoir dans la nouvelle société. Or, c’est ici que les problèmes commencent. L’immigrant se retrouvera toujours confronté à l’argument qu’il vient d’ailleurs.

C’est « ailleurs » charrie beaucoup de préjugés culturels, beaucoup de mythes! Il doit s’assujettir au pouvoir réducteur dominant de la société. Cela signifie aussi que le pôle du pouvoir non seulement lui échappe mais qui plus est, risque de le marginaliser s’il n’accepte pas les règles du jeu. Cela part du présupposé que si l’individu échoue, ce n’est pas la faute du système, mais du fait qu’il ne s’ajuste pas aux normes établies.

Suivant ce résonnement, nous pouvons dire que la culture occidentale « … en tant que culture dominante porte en elle les traces de la violence qui lui a permis d’accéder au pouvoir ».

« Elle a fait preuve d’une puissance incroyable d’assimilation et d’inclusion de toute chose, même de cela qui la conteste du dehors, une volonté d’accommodement, de conformité et de cohésion sociale qui tente par tous les moyens d’effacer les contradictions de masquer les écarts, si bien qu’il devient difficile de dissocier culture et pouvoir réducteur ». Pour l’immigrant, par conséquent, plus il est loin du pôle du pouvoir, plus il est fragile socialement.

Faire ses preuves

Au départ, l’immigrant doit non seulement surmonter les obstacles inhérents à sa situation d’ « étranger », différent culturellement, par le fait même, mais il doit prouver plus que quiconque qu’il est capable de réussir.

Sa crédibilité sociale en dépend. Il doit ainsi se soumettre aux conditions de la loi sociale qui est la loi de l’échange, c’est-à-dire celle qui transforme les « choses » en valeurs et les valeurs en « choses ». C’est elle qui assigne tous les individus, sans distinction, à un certain ordre social, à une logique de l’échange des valeurs.

« Une société comme la nôtre est un système social structuré et hiérarchisé dans lequel existent des groupes sociaux dont les places qu’ils occupent ne sont pas équivalentes. Elles sont diversifiées et inégales de même que les « conditions humaines » des groupes, et des individus à l’intérieur de la « condition humaine » commune. Places géographiques, économiques, sociales, place dans l’ordre du savoir et du pouvoir.

Cette différence sociale et l’inégalité des conditions de développement des groupes et des individus ne sont pas un phénomène accidentel, marginal, inintelligible. Elles se présentent plutôt, à l’analyse des faits, comme le résultat, le produit « normalisé » du fonctionnement normal de la loi fondamentale inhérente à notre société ».

Phénomène économique

En Occident, l’immigration a toujours été, jusqu’à présent, un phénomène économique qui confirme non seulement notre analyse mais qui ne peut pas fonctionner en dehors d’une telle logique.

En fait, elle est intrinsèquement liée au développement et à l’extension du monde industriel. « Néanmoins, parvenus à imposer leurs règles dans le jeu de l’échange et du profit international, les pays développés ont sans cesse visé à étendre leur pouvoir de décision à d’autres domaines moins directement économiques, tels que la vie politique et culturelle. La relation de dépendance, fruit de la domination, a conduit historiquement au couple développement / sous-développement.

Celui-ci est la conséquence de celui-là. La réflexion sur le phénomène de domination doit dépasser le cadre purement économique et évolutionniste, pour se situer dans une perspective où les données culturelles retrouvent leur véritable place.

Cette analyse semble être corroborée par beaucoup de chercheurs en sciences humaines à l’heure actuelle. Toutefois, dans notre analyse, il ne faut pas oublier aussi une autre dimension, celle qui vient du passé colonial, des conditions même dans lesquelles se sont développées l’occupation et l’exploitation commerciale du tiers monde par la plupart des pays industrialisés.

« L’héritage colonial »

En effet, pour mieux expliquer la condition d’immigrant, il faut partir absolument de ce que certains historiens appellent « l’héritage colonial », pour caractériser la tendance des conditionnements coloniaux qui ont assuré la continuité entre les régimes coloniaux et les actuels régimes démocratiques.

Pour corroborer cela, il suffit d’examiner de plus près le concept de race qui prend une dimension nouvelle à partir du colonialisme. À mon sens, il s’agit d’un concept purement politique, voire idéologique. Comment peut-on expliquer un tel concept en Afrique noire?

Y a-t-il plusieurs races noires? Nous voyons bien que c’est l’homme blanc qui a non seulement définit les barrières physiques du continent africain, mais qui a surtout crée le concept de différence de race. (Il y a là, de toute évidence, un intérêt économique et politique). Ceci rejoint l’idée de Nietzsche dans La Généalogie de la morale :

« … Ce sont les races nobles qui ont laissé l’idée de barbare sur toutes les traces de leur passage » (G.M.I., 11). Un tel concept n’a pas de fondement génétique. D’ailleurs, la division géographique de ce continent ne correspond pas aux démarcations culturelles de ces peuples. Dans cette optique, le racisme, aboutissement suprême de la honte humaine, ne peut être que la figure d’un état de domination dans les domaines économique, politique, culturel et même religieux. Il y a une seule race, l’espèce humaine.

Si nous nous sommes étendus quelque peu sur l’analyse du contexte historique de l’immigration, c’est parce qu’elle est indispensable pour en mesurer le poids et pour comprendre l’importance des profonds changements qu’il faut faire à l’actuel système d’immigration et aux lois qui le soutiennent.

Contrairement à ce que l’on a dit plus haut, ce ne sont pas les individus qui refusent de s’ajuster au système. C’est, au contraire, celui-ci qui, eu égard à la loi sociale dont on a déjà parlé, ne tient pas compte de l’évolution normale des nouveaux individus qui s’intègrent à la nouvelle société. Ce ne sont pas les hommes qui doivent se soumettre aveuglément aux principes immuables. Ce sont ceux-ci qui doivent être repensés et ajustés aux nouvelles conditions d’existence de ceux et de celles qui font la richesse de la société.

Réussir sa vie

L’immigration non seulement ne constitue pas un fardeau pour la collectivité, mais doit se poursuivre dans les meilleures conditions possibles. À l’image des peuples nomades, nous sommes tous des immigrants. Nous venons de quelque part. Nous cherchons tous le même objectif : réussir sa vie. L’argument de l’ancienneté territoriale ne peut plus constituer un argument sérieux pour définir les paramètres d’une société. Sinon, que répondrons-nous aux nations indiennes alors que cela fait des millénaires qu’elles habitent ce territoire?

Si on tient compte des conditions actuelles d’évolution des sociétés, du problème du vieillissement des populations, de la baisse de natalité de l’Occident, des chambardements politiques qui s’opèrent un peu partout, l’immigration devient une richesse incalculable.

Rentable pour le Canada

Je dirais même qu’elle devient une question de survie, de prospérité et d’épanouissement collectif. Une étude récente du professeur Ather Akbari, professeur d’économie à l’Université St.Mary de Halifax, soutenait que « l’accueil d’immigrants constitue un investissement rentable pour le Canada, car ceux-ci versent davantage d’argent dans le trésor fédéral qu’ils n’en retirent… Les immigrants arrivés au pays depuis 1946 ont profité en moyenne de 3575$ en paiement de transferts et en services de santé et d’éducation pendant l’année 1980. Ils ont par contre payé 10 537$ en impôts, taxes de vente et autres taxes diverses » (Le Devoir, 4 janvier 1990).

Il n’y a plus de doute que les immigrants, sur le plan économique, politique et culturel, constituent une force considérable pour le pays. Pour reprendre l’idée de René Lévesque au moment de la prise du pouvoir en 1976, je dirais que les immigrants ne sont plus « un accident de parcours »… Une étude récente du professeur Robert Boily, professeur de sciences politiques à l’Université de Montréal, prouve hors de tout doute qu’au moins dans la région de Montréal, les immigrants tiennent la balance du pouvoir (Le Devoir, 15, 16 septembre 1989).

...même s’il est souvent démuni, l’émigré n’est jamais un « voyageur sans bagage ». Il apporte avec lui, imprégnant sa vision du monde et son comportement, une culture qui englobe un type de formation, des moyens pour expliquer la réalité et agir sur elle, un système idéologique avec ses principes d’explication et ses valeurs. (Chancy et Pierre-Jacques, 1981 :43)

L’immigration haïtienne au Canada s’explique en partie par les conditions de vie particulièrement difficiles subies actuellement par le peuple haïtien (Marchand, 1981). Toutefois, cet exode massif qui correspond à l’arrivée au pouvoir de François Duvalier, en 1957, s’explique également par des conditions propres à la société québécoise. Un bref historique montre que les caractéristiques de cette immigration (volume, composition, etc.) sont directement reliées aux besoins en main-d’oeuvre du Canada (Bastien, 1986; Dejean, 1978). Ainsi, entre 1960 et 1970, suite à l’expansion du secteur tertiaire (santé, éducation, etc.), le Québec a eu un grand besoin de main-d’oeuvre qualifiée dans ce domaine. Cette période correspond à la première vague de l’immigration haïtienne qui est caractérisée par un pourcentage élevé de professionnels dans le domaine de la santé et de l’éducation. Ils ont un statut d’immigrant indépendant et leur insertion dans la vie québécoise s’est effectuée dans des conditions relativement favorables. Par ailleurs, le volume de cette immigration est assez faible.

Entre 1972 et 1985, on observe deux phases. La première, de 1973 à 1977, se distingue par l’arrivée d’immigrants peu ou semi-spécialisés provenant de la classe ouvrière haïtienne (Larose, 1984). La seconde, de 1981 à 1983, se démarque par la venue d’immigrants issus surtout de la paysannerie. Pour l’économie canadienne, ces immigrants arrivent à point. En pleine crise économique, ce type de main d’oeuvre :

…permet la diminution du coût de la main-d’oeuvre pour certaines fractions de la population et des services à faible composition organique du capital, car elle rend possible la surexploitation du travail immigrant;…elle permet une épargne considérable des coûts sociaux de formation et de reproduction de la force de travail;…elle exerce une pression à la baisse des salaires des nationaux et participe le plus souvent à la division de la classe ouvrière, bien que ceci ne soit pas absolu. (Labelle et al., 1983 : 81).

La période de 1972 à 1985 retiendra davantage notre attention car plus de 80% des Haïtiens entrés au Canada sont arrivés durant cette période. Statistique Canada (1981 : voir Bastien, 1986) estime que la grande majorité (90%) des Haïtiens immigrés au Canada vivent dans la région métropolitaine de Montréal. Diverses sources estiment en 1986 la population de la région métropolitaine de Montréal à plus de 40 000 Haïtiens (Lamotte, 1985; Piché, Larose et Labelle, 1983). Nous verrons maintenant les caractéristiques de l’immigration haïtienne au Québec depuis 1972.

En novembre 1972, le gouvernement canadien entame un processus de restriction de l’immigration. Le parrainage de l’immigrant par un parent déjà installé au Canada devient le principal critère d’admissibilité des immigrants. Le gouvernement veut alors favoriser la reconstitution des familles immigrantes vivant au Québec et au Canada. À partir de ce moment, le statut des immigrants haïtiens entrant au pays est majoritairement celui de parrainé. Cette population se caractérise par une sur-représentation féminine (Bastien, 1986). Pour la période comprise entre 1971 et 1981, on compte en moyenne 87,4 hommes pour 100 femmes. Les principales raisons de ce phénomène sont la disponibilité des postes dévolus aux femmes sur le marché canadien et les transformations importantes survenues dans l’économie haïtienne qui ont particulièrement touché la main-d’oeuvre féminine (Lamotte, 1985).

Selon Lamotte (1985), le niveau de scolarisation des immigrants haïtiens est supérieur à celui de la population active québécoise : 27% ont fait des études collégiales et 20% des études universitaires. Ceci concerne principalement la population masculine car 75% des Haïtiennes (nées en Haïti) sont analphabètes fonctionnelles. Cependant pour la majorité des immigrants haïtiens, le créole constitue la langue maternelle et le plus souvent la langue d’usage, le français n’étant que la langue utilisée dans l’enseignement (Marchand, 1981). La maîtrise du français variant en fonction du degré de scolarité, l’expérience montre qu’un bon nombre d’immigrants haïtiens rencontre des problèmes de communication semblables à ceux des allophones principalement en milieu scolaire et lors de la recherche d’un emploi.

La présence illégale d’immigrants est une autre caractéristique non négligeable de l’immigration haïtienne au Québec (Marchand, 1981). Pour beaucoup, légaliser leur statut à leur arrivée est une tâche importante sinon primordiale : 63% des immigrants ont eu à faire face à ce problème entre 1973 et 1976 et 47% en 1980 (Lamotte, 1985). Cette situation, outre le stress de la clandestinité, de l’exploitation et de l’endettement interdit à plusieurs l’accès aux programmes d’accueil provinciaux et fédéraux.

Bien que la communauté haïtienne de Montréal ne se présente pas comme un groupe homogène, il est tout de même possible de brosser un portrait de l’Haïtien nouvellement immigré. Il quitte son pays à cause d’un climat socio-économique détérioré et rejoint un parent déjà installé au Québec. Il provient d’un milieu plus ou moins défavorisé, il est peu ou pas spécialisé mais son niveau de scolarité est supérieur à celui d’un québécois (population active). Quant à l’Haïtienne, elle a un niveau de scolarité inférieur à la femme québécoise. La maîtrise du français est variable, elle est reliée au niveau de scolarité. Son expérience avec les autorités de l’immigration risque de lui avoir laissé une certaine méfiance. Toutefois, en dépit de nombreuses difficultés matérielles et psychologiques inhérentes à l’immigration et malgré un fort attachement à son pays et l’entretien perpétuel du rêve de retour, l’immigrant haïtien est motivé à s’intégrer à la vie québécoise (Lamotte, 1985; Larose, 1984; Ministère de la Main-d’oeuvre et de Immigration, 1974). Malheureusement, les conditions socio-économiques qui lui sont faites rendent la tâche difficile, d’autant qu’il arrive au moment d’une crise économique qui touche particulièrement les secteurs faibles de l’économie où il est susceptible de se retrouver (Bastien, 1986).

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