lundi 11 août 2008

CAPSULE 5

Duvalier et le vodou

Avant 1960, l’Église catholique n’a jamais fait un effort digne de ce nom pour comprendre le vodou, cette religion d’origine Africaine qui s’est acculturée sur le sol de Saint Domingue au contact de la religion dominatrice du colon Français. Elle l’a toujours voué aux gémonies n’y voyant qu’une sordide superstition africaine, un culte des idoles et de Satan. En 1942, elle a déclenché une horrible campagne de destruction contre le vodou.

On peut douter de la sincérité de la Foi de Duvalier dans le vodou. D’un côté il y reconnaît à juste titre un facteur de cohésion et d’unité des esclaves pendant la guerre de l’indépendance. Il y voit aussi un héritage africain qui garde toute sa valeur pour Haïti. Mais alors comment expliquer son indignation d’être associé à ce qu’il appelle les « plus grotesques pratiques superstitieuses »? On répondra qu’il joue au diplomate pour acquérir le st-siège à sa cause. Néanmoins, François Duvalier, personnalité habitée par la contradiction, semble avoir honte, quoiqu’il en dise, de ses origines africaines. Aussi, le voit-on affirmer à plusieurs reprises notre appartenance à la civilisation occidentale et notre place dans le Christianisme.

Sous le gouvernement de François Duvalier, le vodou jouit certainement d’une plus grande liberté que sous les gouvernements antérieurs. Dans leur ensemble les Églises catholique et protestante ont boudé cette permissivité sans essayer de comprendre cette religion des masses populaires, ni de découvrir l’exploitation sordide que Duvalier en a faite pour des fins politiques. Duvalier a pour sûr encouragé les cultes vodouesques, mais il l’a fait avant tout pour se gagner l’estime d’une grande partie de la population pour créer un réseau d’espionnage à travers les divers sanctuaires vodouesques du pays et pour plonger dans la peur tous ceux qui voudraient s’attaquer à sa vie, puisqu’il s’est fait passer pour le fils bien-aimé des « loas » ou forces du vodou. En fait, il s’est servi du vodou comme il l’a fait de l’Église. Il a su servir d’une église naïve, attachée avant tout aux intérêts de l’institution, pour renforcer son pouvoir de domination et de destruction (SIC).

A. UN PETIT RAPPEL HISTORIQUE POUR MIEUX CERNER LE VODOU AVANT DUVALIER
Il existe un préalable indispensable à une présentation du grand peuple haïtien et de sa culture profonde, c’est de connaître un peu l’histoire cruelle de l’esclavage qui a écorché son âme à vif, c’est d’essayer d’imaginer un peu la profondeur du mal qui lui a été fait et l’est encore, au nom de la civilisation, du christianisme et du progrès. (Augustin, 1983). Haïti est le produit d’un incroyable brassage de peuples et de coutumes d’où la richesse et la complexité de sa culture. Découverte par Christophe Colomb en 1492, l’île est sous la domination espagnole jusqu’en 1697 où elle devient possession française. Le génocide de ses premiers habitants, les Taïnos, amène les Espagnols à importer dès 1506, des esclaves Noirs (Dejean, 1978). Durant trois siècles, des milliers d’africains de toute provenance (Bénin, Dahomé, Guinée, Cameroun, Gabon, etc.) constituent la force du travail de l’île soumise aux colonisateurs. Les conditions de vie des esclaves, particulièrement inhumaines : les esclaves fuient les habitations et les ateliers des maîtres pour vivre cachés dans la nature (bois, grottes, montagnes). Comportant des éléments de fuite clandestine, de prudence et d’habileté de manœuvre, le marronage est un fait important de l’histoire et de la culture haïtienne et non, un seul fait historique, comme le souligne Augustin (1983).

On le retrouve dans le peuple haïtien de toujours et jusque dans les temps actuels comme une manière de penser et de se comporter. Il est une attitude stratégique en vue du succès à court ou à long terme. Il est une manœuvre le plus souvent en dehors de la légalité, mais assez habile pour manifester une grande sagesse, assez cachée pour ne pas susciter de répression officielle, assez réaliste pour évaluer les obstacles et les contourner intelligemment. Le marronage haïtien est la manière d’être et d’agir, l’inspiration fondamentale de l’haïtien né malin et exercé à se tirer d’affaire dans tous les cas, … (Augustin, 1983).

Grâce à lui s’établit un réseau étendu de solidarité nègre. Sa force est devenue évidente la nuit du 14 août 1791 lors d’une cérémonie vodou dirigée par le¹ « houngan » Boukman, un esclave marron. Ce fut la première d’une série de révoltes ayant conduit à l’autonomie d’Haïti, le 1er janvier 1804.

Au moment de l’Indépendance, trois groupes de Noirs provenant tous de la traite des esclaves, coexistent : les mulâtres, les affranchis et les esclaves. Les mulâtres viennent de l’union entre les maîtres et les esclaves noires. Souvent reconnus et acceptés comme des enfants à part entière, ils possèdent tous les droits des Blancs, à l’exception des droits politiques. Ils ont intégré les modes de vie des Français de l’époque, la plupart d’entre eux ayant fait des études en France. Proches d’eux par leurs droits, mais distants par les préjugés qu’ils subissent, les Noirs affranchis, sont pour la plupart des anciens esclaves qui par leurs fonctions ont été en contact direct avec la vie des maîtres. Instruits et conscients de leur valeur, ils ont adopté les modes de vie des Français (langue, religion, valeurs) et ils possédaient le quart des propriétés de l’île. Le dernier groupe, celui des esclaves, est le plus nombreux et celui dont les conditions de vie ont été les plus difficiles.

Première république noire, Haïti a hérité des inégalités et des doubles normes mises en place par le système colonial. Le français et le catholicisme sont inscrits dans la constitution comme langue et religion officielles alors que le créole et le vodou, deux aspects importants et originaux de la culture haïtienne, ont longtemps été vécus comme honteux et à ce titre méprisés et bafoués par l’État. Par exemple, en 1941, une lutte dite « campagne antisuperstitieuse » menée de concert par l’Église et l’État a réprimé fortement les pratiques vodous et détruit une bonne partie du patrimoine haïtien. Le créole quant à lui, n’a acquis que récemment une place plus officielle. Les premières versions écrites de cette langue ont vu le jour sous l’impulsion de pasteurs protestants lors de l’occupation américaine. La possibilité d’une scolarisation en créole est encore plus récente. Pourtant plus de 80% de la population est créolophone et vodouisante.

La domination américaine (1915-1935) a elle aussi laissé son empreinte. Sur le plan social, elle est venue imposer à tous le contrôle de l’État en établissant de meilleures liaisons routières entre les différentes villes et les régions éloignées et en instaurant une police rurale aux pouvoirs locaux illimités. Les paysans, qui, jusqu’alors organisaient leurs vies selon un ordre coutumier avec un conseil des anciens (les grandets), des prêtres vodous, un système d’entraide, des règles de mariage et de succession, ont vu leurs structures sociales perdre de leur valeur au détriment de la loi officielle imposée par cette police. Sur le plan économique, la domination américaine est venue subjuguer Haïti au capitalisme occidental.

Finalement, la dictature duvaliériste (1957-1986) et les régimes suivants, n’ont fait que perpétuer l’exploitation économique du peuple haïtien et l’autoritarisme qui a marqué la vie politique du pays depuis son indépendance.

1 houngan – prêtre vodou

B. STRUCTURES ÉCONOMIQUE, SOCIALE, RELIGIEUSE ET FAMILIALE EN HAЇTI

1. Économie
Alors qu’elle était autrefois une terre prospère par son agriculture coloniale (café, épice, canne à sucre, etc.), Haïti se classe aujourd’hui parmi les pays les plus pauvres du monde (166ieme sur 204) et présente actuellement un tableau économique dramatique. La chute des cours mondiaux des produits coloniaux, la dégradation des sols en raison d’un déboisement intensif non coordonné et non planifié, et les politiques désastreuses tristement célèbres ont contribué à conduire ce pays dans un état de pauvreté endémique ou la faim se fait sentir. Haïti se situe parmi les pays où la mortalité infantile est la plus élevée (selon les dossiers de l’UNICEF, Grant, 1985) et son taux d’analphabétisme est impressionnant (62.4%). Très peu urbanisée, avec une industrie de surface à la solde des États-Unis, sa population est essentiellement rurale (74%) et les activités économiques de la plupart de ces paysans sont, en raison de la détérioration des sols et de la parcellisation des propriétés, des pratiques de grapillage et de survie (Anglade, 1974).

Les femmes participent de façon active à l’économie haïtienne et les tâches qui leur incombent, peu importe leur lieu d’habitation (milieu urbain ou milieu rural), sont incommensurables. Les paysannes passent beaucoup d’heures sur les routes à transporter de l’eau ou du bois et à aller vers les villes et villages pour y faire du petit commerce et y acheter des produits manufacturés. En milieu urbain, les conditions insalubres s’ajoutent aux difficultés liées à la dissociation des lieux de production marchande et de travail domestique (Neptune-Anglade, 1986)

2. Religion
Actuellement, en Haïti, trois systèmes religieux s’enchevêtrent les uns aux autres. Le catholicisme est la religion officielle et celle du pouvoir. Distante du peuple haïtien par bien des aspects (clergé entretenu par l’État haïtien et quasi exclusivement blanc jusqu’au règne de Duvalier, positions rigides contre le vodou, rareté des paroisses en zone rurale, dîmes et obligations coûteuses), elle n’a pris la défense du peuple qu’à la fin du règne de Jean-Claude Duvalier.

Plus proches du monde paysan, les sectes protestantes apparues de l’occupation américaine regroupent environ 10% de la population, surtout des paysans moyens (Kerboull, 1973). Dirigées en général par des pasteurs noirs et fondées sur des systèmes plus égalitaires que le catholicisme, elles présentent l’avantage d’offrir des services concrets (écoles, soins médicaux, etc.). De plus, leur intransigeance à l’égard du vodou les fait apparaître comme des protecteurs efficaces contre les exigences morales et financières des loas…

Le vodou, quant à lui, est une religion syncrétique, de type archaïque, voisine des croyances magiques. C’est une religion vivante aux contours mal définis qui s’adapte aisément aux différentes niches écologiques (plaine, montagne, mers, villages) et aux différentes circonstances de la vie. Laguerre (1979) rapporte trois formes de vodou qui exercent des fonctions complémentaires : le vodou public décrit par Métraux (1953, 1958) avec ses temples (houmfos) et ses prêtres (houngans); le vodou de lakou pratiqué par la famille étendue et enfin, le vodou familial. Les rites vodous ont des fonctions de protection, de rassemblement (familial et collectif) et de partage de vie spirituelle où l’expression des talents (musique, peinture, danse) est possible. L’houngan est un personnage important, un leader dans la communauté. Grâce à ses connaissances, à ses liens avec le surnaturel et à sa sagesse, il combine le rôle de chef religieux, de médecin, de conseillers des âmes et de conseils juridique.

Dans ses rites et systèmes symboliques, le vodou fait bon ménage avec le catholicisme. Il existe une correspondance entre les saints, divinités vodouesque (les loas), entre les principales cérémonies et les fêtes catholiques (Noël, Pâques, etc.) et les houngans exigent le baptême. De plus, Métraux (1953,1958) se plaît à répéter d’un paysan : « Il faut être catholique pour bien servir les loas et Kerboull » (1973) cette phrase « S’ou catholique, faut quand même ou n’en l’Afrique » (Par le fait même que vous êtes catholique, vous devez pratiquer le vodou). Ce mariage vodou-catholicisme répond à la fois au besoin de se conformer aux exigences répressives de l’État et au besoin de se protéger au maximum en s’assurant autant avec les protections reliées au culte catholique qu’à celles des croyances vodou. La spiritualité vodou imprègne toute la société haïtienne mais à des degrés divers et même parmi les couches sociales non-vodouisantes qui se tiennent soigneusement à distance de pratiques, les individus qui consultent occasionnellement (mais en cachette) les houngans ne sont pas rares.

3. Structures sociales
La société se divise en trois couches sociales nettement différenciées sur le plan des croyances, des us et coutumes, des structures familiales, de l’éducation et par conséquent des structures de la personnalité. Ces couches sociales sont : la paysannerie; la classe riche bourgeoise, formée d’intellectuels et de gros propriétaires fonciers, et une classe intermédiaire peu nombreuse. Certains chercheurs considèrent toutefois ce découpage comme peu nuancé et décrivent à l’intérieur de la paysannerie plusieurs groupes en fonction de leur richesse et de leur mode de production, chaque groupe entretenant des modes de vie et des idéologies différents. Les plus riches (distincts toutefois des latifundistes de l’Amérique latine et des gros propriétaires fonciers) s’apparentent à la classe intermédiaire et participent à l’économie capitaliste. Les plus pauvres sont obligés de louer leur force de travail. D’autres nuances seraient également nécessaires pour tenir compte des populations urbaines défavorisées et exploitées par le système capitaliste américain.

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Dans l’ensemble, les riches sont scolarisés, parlent français et se sont très longtemps identifiés à la culture française. Les pauvres (des milieux urbain et rural) sont pour la plupart analphabètes, parlent créole, pratiquent le vodou et maîtrisent mal les structures sociales qui les gouvernent. Ils ne se préoccupent guère de se justifier par des papiers officiels ou d’actes civils et se réfèrent plutôt à leurs coutumes (De Ronceray, 1979).

Bastide, Morin et Raveau (1974) et Bourguignon (1969) distinguent en fonction des classes sociales des structures différentes de la personnalité. Ils identifient pour la classe privilégiée une ambivalence socialisée provenant de leur éducation biculturelle. En effet, dès sa naissance l’enfant est confié à une nourrice (paysanne et créolophone), puis quand vient l’âge scolaire, sans que la transition soit assumée à un niveau quelconque de la société (famille, groupe d’amis), il est envoyé dans des écoles privées et y est élevé à l’occidentale. Cette ambivalence transparaît dans de nombreux écrits haïtiens lorsqu’il s’agit de décrire les us et coutumes des Haïtiens.

Pour les paysans, on parle plutôt de syncrétisme. Les paysans ont en effet les traditions et les langues des premiers esclaves avec les pratiques et la langue des premiers colons. Le créole est un mélange de français, d’espagnol et de certaines langues africaines. Le vodou très fortement apparenté au vodou du Dahomey est un mélange de pratiques catholiques et de cette religion. Tout ce qui semble bon, et peut donner un sens à leur vie dans ses heurs et malheurs est adopté, ils ne se préoccupent guère d’orthodoxie.

4. Structures familiales
Les liens matrimoniaux varient également suivant les classes sociales. Pour les riches, le mariage est le mariage religieux catholique que nous connaissons et leur structure familiale se conforme aux prescriptions de cette Église. Peu pratiqué par les paysans, le mariage catholique reste l’idéal pour tous les groupes sociaux. Une union traditionnelle, le² plasay, tout aussi stable le remplace, il implique des accords entre les familles et un échange de dot. Normalement, le couple vit dans la famille de l’époux, mais dans les faits, en raison du grand morcellement de terres et de l’existence de la polygamie, il va vivre ailleurs et entretient des liens à la fois avec la famille de l’époux et avec celle de l’épouse. De par ses rites et conventions, le plasay se distingue du concubinage, un phénomène récent qui apparaît dans les zones urbaines.

Une certaine forme de polygamie existe dans toutes les couches de la société. Cette polygamie est le fait des hommes, toute infidélité féminine étant en principe sévèrement réprimée. Instituée sous la forme coutumière, elle est illégale aux yeux des textes officiels. Une hiérarchie s’instaure parmi les co-placées (ou co-maîtresses dans le cas d’un homme marié), la première, la caille, c’est-à-dire celle qui est à la maison se démarque des autres, les dehors.
Toutefois, les enfants qui naissent des femmes « placées » avec le même homme seront égaux face au père quant à leurs droits à l’éducation, aux soins habituels et à l’héritage.

La structure familiale haïtienne est dite patriarcale et matrifocale. Patriarcale parce que les lois et l’Église donnent à l’homme tous les droits et pouvoirs, parce que jusqu’à présent seule l’épouse officielle et non la placée est reconnue et enfin, parce que malgré une présence au foyer épisodique l’autorité du père est incontestée et draconienne. En principe, c’est lui qui assume la charge financière de tous ses foyers. La structure est également matrifocale parce que dans les faits, 60% des cellules nucléaires ont un chef féminin qui subvient aux besoins de la famille, assure aux enfants la stabilité et veille à leur éducation. Dans les familles bourgeoises, le rôle de la femme est réduit et la matrifocalité est moins présente. Elle est davantage marquée chez les citadins moins fortunés et les paysans (Colimon, 1977; Durand, 1980).

L’unité domestique se compose de différents adultes : parents (souvent la mère seule), grands-parents (souvent la grand-mère seule), frères et sœurs adultes, beaux-frères parfois, et aussi parrains et marraines avec leurs enfants (considérés comme faisant partie de la famille). Parmi les enfants, on retrouve les enfants de différents lits, soit de la mère, soit du père soit encore d’autres lits (ti moun resté avek nou), des enfants confiés par leurs parents en échange de services et qui jouent le rôle de petits domestiques (les restaveks). Les enfants sont fortement désirés, c’est la raison de l’union. Ils sont choyés dans les familles riches, ils étaient autrefois appréciés comme une richesse en raison de leur potentialité de main-d’œuvre chez les paysans. Toutefois, il faut remarquer que dans les zones rurales les plus déprivées, l’unité domestique se limite souvent à cinq membres soit deux adultes et trois enfants. Une naissance ou un nouvel arrivé quelqu’il soit entraîne dans un certain délai l’envoi d’un enfant plus âgé chez un parent plus riche qui pourra le prendre en charge (Smith, Paulsen, Fougère et Ritchey, 1983; Sylvain, 1974).

Le lien familial est une valeur précieuse pour les Haïtiens et la famille haïtienne déborde largement la notion occidentale de la famille. La parenté étendue intègre en son sein à la fois les membres de la famille (cousins, oncles, tantes, neveux, etc.) et les parrains et marraines des membres de la famille parfois, surtout en situation d’éloignement, des anciens voisins très proches. Elle est très importante pour les Haïtiens (Sylvain, 1951, 1974) et joue un rôle de soutien émotif voire financier. Les enfants même mariés doivent entretenir des liens étroits avec leurs parents et il va de soi que les enfants les prendront en charge lorsqu’ils seront trop vieux. L’éloignement aux quatre coins du pays, les difficultés de communication et l’immigration ne sont pas un obstacle, les nouvelles circulent par le télédiol (i.e. par bouches et oreilles). Les visites entre parents sont fréquentes et un trop grand espacement est mal vu, les reproches se font vite sentir.

2 Vivre en cohabitation sans s’être marié.

RÉSUMONS-NOUS AVEC ANGLADE

La première Espagnole 1492-1630

Des conquistadores viennent occuper une île ayant longtemps fait l’objet d’une mise en valeur par les tribus Amérindiennes. La recherche de l’or est le moteur principal de la colonisation du mercantilisme Espagnol.
Les résultats sont nets pour la masse Indienne : un génocide.

La seconde Française 1630-1803

Après un début hésitant dans le commerce des épices, elle trouve sa vocation colonisatrice dans le sucre et termine cette ère de prospérité en faisant de Saint-Domingue l’île par excellence du sucre et du café.
Bilan : près d’un demi-million de déportés à survivre en 1789.

La troisième Haïtienne (à partir de 1804)

Héritière de l’époque coloniale, elle y a puisé l’originalité de sa population de noirs et de mulâtres. Un même mode d’exploitation a dominé : la spéculation sous toutes ses formes au profit des classes issues des contradictions sociales et ethniques, économiques et politiques.

I. AU 16e SIÈCLE, CYCLE DE L’OR ET GÉNOCIDE INDIEN

Dans les années 1500, l’île devient le joujou de l’Atlantique Espagnole : tout l’Univers mythique des hommes du Moyen-âge semble trouver concrétisation dans l’occupation de cette île du Nouveau Monde.

La double fonction assignée à la Conquista, or/missions, fait la fortune d’Haïti réputée riche en or et habitée d’une population de l’ordre de 25,000 âmes.

Le cycle de l’or est de courte durée, en 1530, l’aventure est terminée. L’Euphorie du début a succombé à trois causes :
1) L’Appel du Continent où les hauts plateaux semblent plus féconds.
2) L’Épuisement progressif des filons rentables.
3) L’Amenuisement de la masse Indienne.

L’Histoire de cet amenuisement comprend trois phases qui sont celles de l’histoire
économique tellement étaient inséparables les deux volants de la fortune coloniale de 16e siècle : les Indiens et l’or.

De 1492 à 1502

Les caractères de l’implantation de la première heure se conservent : la population Blanche est toujours inférieure au millier, la Colonie se cherche une voie. On assiste à la mise en place des travaux forcés et aux tentatives de traite d’Indiens pour le marché aux esclaves de l’Andalousie. – En Métropole l’hésitation est le caractère dominant des actions officielles.

De 1502 à 1520

Le modèle de colonisation qui sera celui de toute l’Amérique Espagnole s’invente et s’expérimente. La Casa de la Contratacion (1503) souligne la prise en charge par Seville du Monopole des relations avec le Nouveau Monde. Ovando gagne l’île avec 2,500 hommes, les Indiens sont régis et distribués en Repartimientos, l’or afflue d’Hispagnola. Mais, dès 1515 on peut déceler les signes d’un essoufflement. La rapide réduction de la masse Indienne se fait sentir et provoque une Razzia dans les îles voisines. Les retours d’or en Castille baissent…

En 1520, Hispagnola est déjà condamné sinon morte. Le Mexique de Cortes (1519) t le Pérou de Pizarro (1527) prennent brillamment la relève.

De 1520 à 1630

L’Espagne est dans l’impossibilité de créer un cycle relais d’envergure, capable de remplacer l’âge d’or. Ceci consacre la faillite du peuplement d’une île reléguée au rôle de pourvoyeuse de vivres, de cuir vert et de sucre.

Il ressort, en conclusion, que suivre l’évolution des populations Blanches et Amérindiennes revient à suivre les fluctuations des envois d’or en Métropole.

-La présence blanche, faible jusqu’en 1502, en augmentation jusqu’à 1515 et décroissante à cette date, s’ajuste à l’allure de la production de l’or.
-La courbe décroissante des Autochtones a elle aussi répondu aux incitations de la production : plus vite augmentait cette dernière, plus vite étaient décimés les Indiens.

Au 18e siècle un changement de structure s’est opéré ; des mines on passe aux plantations. Là encore l’évolution de la production sera intimement liée à l’évolution de la masse servile mais les deux courbes progresseront cette fois dans le même sens.

II. AU 18e SIÈCLE, LA STRUCTURE DE LA POPULATION TÉMOIGNE D’UNE MISE EN VALEUR AGRICOLE EXCEPTIONNELLE

Nous nous proposons de présenter les résultats des dépouillements d’une vingtaine de recensements de cette époque.

De 1680 à 1700 – accroissement d’environ 500 hts/an

Dans ces premières décennies de l’implantation, les difficultés rencontrées par les premiers noyaux de peuplement sont nombreuses. L’État de guerre est permanent. La flibuste prélève des hommes, non seulement pour la Course aux Gallions mais encore pour les expéditions punitives contre les centres Espagnols.

Le pourcentage des Esclaves augmente de 32% à 66%, tandis que celui des Blancs régresse de 64% à 30%. Ces tendances que manifestent les grands groupes ethniques nous amènent à analyser la structure démographique des Antilles en prenant en considération l’importance des Ethnies en présence. Plus est élevé le pourcentage des Noirs dans la population totale, plus grande est la poussée de conquête du sol. Nous avons là, l’indice le plus synthétique du degré de développement atteint par une Antilles à sucre au 18e siècle.

De 1700 à 1750 – accroissement d’environ 3,000 hts/an

St-Domingue passe de 14,000 à 165,000 habitants. Cet accroissement rapide en 50 ans contribue à donner à l’île la structure démographique qui caractérise le 18e siècle.

90% esclaves 2,5% libres 7,5% blancs

L’évolution de la structure entre 1700 et 1750 est passée par deux phases :

1) La première, constitutive, augmentation progressive du nombre des esclaves jusqu’à ce qu’ils représentent 90% de la population. Cette étape est atteinte vers les années 1735.

2) La deuxième phase est celle du maintien de ce pourcentage des noirs dans une étroite fourchette.

De 1750 à 1780 – accroissement d’environ 4,000 hts/an

L’Économie St-Dominguoise s’épanouit. Dans la population totale, le rapport entre les trois groupes varie peu malgré l’augmentation de 165,000 à 280,000 âmes.

Nous avons trouvé la « Constante Population » que l’économie de plantation requérait.

Toutes les Antilles à sucre au 18e siècle ont connu cette même exigence imposée comme une variable dépendante de l’économie de plantation.

De 1780 à 1789 – accroissement d’environ 20,000 hts/an

C’est la décennie de la croissance effrénée. On passe de 280,000 à près de 500,000 hommes. Avec l’augmentation rapide des esclaves, les affranchissements se font plus nombreux et les « libres » représenteront un pourcentage de 5 en 1789. Cette pression fait éclater donc la structure démographique qui caractérisait le 18e siècle.

À comparer le destin de St-Domingue à celui de la Martinique et de la Guadeloupe, on peut se demander quelle a été, dans le déclenchement et le maintien de la lutte libératrice, la part de cette rupture de la structure démographique ? D’autre part, passer d’un quart de million à un demi-million en dix ans, n’était-ce pas aussi franchir un seuil qu’il était imprudent de crever puisque l’on cherchait à conserver pour chacun des trois groupes les pourcentages d’avant 1780 ?

III. CARACTÉRISTIQUES ET CONSÉQUENCES DU PEUPLEMENT COLONIAL

Nous nous attacherons à faire ressortir qu’Espagnols et Français ont été confrontés aux problèmes du peuplement et que, dans les solutions envisagées, des mémoires des 16e siècle et 18e siècle ébauchent les mêmes parades et reprennent les mêmes expressions.

A) Des colons pour une colonie

Des pionniers prennent d’abord pied sur l’île. Conquistadores ou Flibustiers, leur action participe beaucoup plus de l’aventure que d’une visée commerciale. La seconde vague d’hommes reflète le souci des métropoles de jeter les bases d’une occupation effective de l’espace.

Après le volontariat que suscite la propagande, nous retrouvons la même mesure en 1496 et vers 1670 pour que soient déversés aux îles les marginaux de la société européenne.

Pour créer des familles stables, donc asseoir la colonisation, on fait venir des filles d’Europe, dans la mesure du possible, ou à défaut, on recherche la stabilité des foyers jusque dans les unions inter-raciales. Ovando, pour fixer le Conquérant, l’oblige à épouser sa concubine Indienne et le « Code Noir » promulgué à l’époque de la constitution du peuplement reconnaîtra, au mulâtre affranchi, les mêmes droits que son père…

B) Des esclaves en grand nombre

Pour des hommes imprégnés de préceptes racistes, la main-d’œuvre nécessaire à la mise en valeur des colonies se trouvait sur place ou en Afrique. L’Espagne montrait le chemin à suivre.

Cependant, la constitution de servitude charrie son corollaire : la révolte contre l’ordre esclavagiste. En 1522 et en 1686 deux ordonnances stipulèrent que le nombre de Blancs devrait être égal à celui des Noirs. Alors que l’Espagne n’eut pas le temps d’expérimenter plus avant cette notion d’équilibre quantitatif, la France obligée de supporter le rapport de 12 à 1 (Esclaves/Blancs) que le type de l’économie exigeait, dotait Saint-Domingue d’une législation ségrégationniste imposante.
Les résultats du joug de l’esclavage sur les Indiens et sur les Noirs furent identiques. Mais la disparition complète des Indiens a fait incriminer beaucoup plus l’Espagne.

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