lundi 23 décembre 2013

CLIN-D’OEIL SUR L’HISTOIRE D’HAÏTI - Période 1957 à nos jours

L'idéologie Coloriste

Il est complémentaire au regard folkloriste qui s’est joint au mouvement indigéniste des années 50 dont Duvalier s’est fait le principal propagateur.  Il est aussi complément du regard monumental sur l’histoire qui marque tant la culture haïtienne dans son rapport au pouvoir.

Les héros de l’Indépendance d’Haïti (Toussaint Louverture, Dessalines, Capois-la-Mort, Makandal, Boukman, le Marron) et les événements qui les situent dans l’histoire (La cérémonie du Bois Caïman en 1791, l’Indépendance d’Haïti en 1804, la bataille de Vertières) sont sans cesse glorifiés comme le sont la nature, les maisonnettes, les paysans et les dieux vaudous dans un tableau naïf, dans la poésie et le roman.  Le regard monumental et folklorique sur l’histoire rend lumineux un présent qui n’arrive pas à se projeter vers un devenir : “[...] toujours elle [l’histoire monumentale] rapprochera ce qui est inégal, elle généralisera pour rendre équivalent, toujours elle affaiblira la différence des mobiles et des motifs, pour présenter les événements aux dépens des effets et des causes, sous leur aspect monumental, c’est-à-dire comme des monuments dignes d’êtres imités” (Nietzsche 1988:91).

Le départ de Duvalier en 1986 entraîne un retour d’une partie de la diaspora en Haïti. Le film “Les îles ont une âme” réalisé par Alain d’Aix (1988) illustre fort bien la poétique du regard monumental et folkloriste sur l’histoire.  Ce film nous présente le pèlerinage d’un intellectuel haïtien, de son lieu d’exil à sa terre natale: “Haïti Chérie”.  Il quitte Montréal avec ce rêve de retour qu’il a tant caressé pendant ces quinze ou vingt ans au Québec.  La traversée, de Montréal jusqu’en Haïti, se fait sous le signe de Agwè (esprit vaudou de la mer).  La première partie du film est un hymne à la population qui déambule, à travers les couleurs des taptap dans Port-au-Prince.  Un point d’arrêt sur le décor de Green qui rappelle l’état policier et la dictature.  Puis on nous amène voir les richesses d’Haïti: le soleil, la mer et la Citadelle.  C’est au bas du palais du roi Christophe, au son des tambours, des chants et de la danse, à la nuit tombée, que l’histoire d’Haïti nous est racontée.  Ce récit lyrique et poétique chante la douleur de l’esclave et celle résultant de l’exploitation du peuple haïtien.  Tour à tour, les héros de l’Indépendance et les événements qui les ont produits, nous sont racontés dans un style grandiloquent.

Comment la pauvreté haïtienne peut-elle faire signe de beauté et de pureté?  Comment le gris oxyde de carbone des tap-tap au bruit infernal peut-il s’estomber dans le tableau pour ne laisser que la couleur?  Comment la souffrance liée à l’exploitation et à la violence du dictateur peut-elle être chantée et devenir exaltation poétique? Comment la Citadelle peut-elle servir le décor de la rentrée du démocrate alors qu’elle est le produit de l’esclavage réformable par Henri Christophe, “roi Henri I”?  Comment est-il possible que le retour de l’intellectuel peut-il se faire sous le signe de la cérémonie du Bwa Kaïman? Oui, comment se fait-il que cet événement historique qui a donné au vaudou et à la magie un rôle mythique fondamental dans la puissance de mobilisation des esclaves pour leur libération, puisse servir la poétique du retour en Haïti alors “qu’il n’est pas question de présenter des citadins, des bourgeois comme des vaudouisants” (Hurbon 1987: 163) (et rajoutons sans équivoque les intellectuels)?

Un rapport monumental à l’histoire

Dans leur quête d’un devenir imaginé meilleur et différent du présent, les Haïtiens se tournent vers leur passé et cherchent les événements et les personnages qui leur apparaissent sublimes, faisant signe que si c’était possible hier, ça l’est encore aujourd’hui.  Transformés en monuments, ces événements et ces héros, produisent de l’éclat donnant sens aux luttes et aux actions d’oppression ou servant même de supports à la rhétorique du pouvoir en place ou en opposition.  Pendant mon séjour en Haïti, les forces sociales et politiques en présence fondaient leur discours sur le monument historique.  Les discours électoraux de 1987 tenus par les aspirants à la présidence (démocrate ou non), le discours de Namphy à l’ONU en 1987 et les discours des gouvernements provisoires, entre 1986 et 1990, sont truffés des monuments de l’histoire haïtienne.

Jean-Jacques Dessalines, le Père de l’Indépendance, est souvent évoqué et fait frémir plus d’un aspirant à la présidence.  Ce monument évoque la puissance du Père qui rallie l’ensemble des esclaves à la défense de la liberté, puis au moment de la libération, à la défense du territoire contre les colons qui aspirent à reprendre Haïti : “On sait par exemple, que Duvalier se prenait pour Dessalines, le “père” de la nation, et se plaçait ainsi au fondement, à l’origine d’un nouveau 1804.  Dans cette perspective, tout opposant à son régime devient automatiquement un apatride” (Hurbon 1987: 166).

Toussaint Louverture, déporté en France en 1802, a promulgué la constitution qui fonde l’autonomie de Saint-Domingue en 1801. Louverture précède Dessalines et initie les batailles qui permettront à Haïti de se soustraire au colon français.  “La situation historique ne lui [Toussaint Louverture] a laissé que la place d’un homme de transition; mais le souffle qu’il a fait passer sur le peuple était plus grand, plus éternel que lui.  Et c’est lui qui va conduire l’histoire qu’il a commencée, vers la liberté jusqu’à l’indépendance” (Eve di Chiara 1988: 251).


La figure de Louverture va prendre plus d’importance après le départ de Duvalier; les intellectuels et les technocrates (duvaliéristes ou non) cherchent à valoriser ce monument: “Nous avons été injustes avec Louverture, car c’est lui qui a fait l’Indépendance”, me dit un technocrate duvaliériste.  François Duvalier s’est tellement identifié à Dessalines que ce monument après 1986 craque sur son socle.  Toutefois, lorsque l’armée reprend de façon provisoire sa puissance politique (pendant cette période de 1986 à 1988), Dessalines réapparaît et regagne souverainement sa place dans le mythe de libération qui valide le pouvoir duvaliériste (avec ou sans Duvalier).

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