dimanche 8 décembre 2013

CLIN-D’OEIL SUR L’HISTOIRE D’HAÏTI - Période 1957 à nos jours

Le Paraître en Haïti

En tant que technique de relation de pouvoir, le paraître ou la semblance codifie l’accès à une position de “maître”.  La classe sociale, la scolarité, la proximité sociale avec le pouvoir en place ou en opposition, l’argent, la maîtrise du français en place ou en opposition, l’argent, la maîtrise du français et de sa rhétorique, la couleur de la peau et la “possession” de plusieurs femmes pour l’homme sont les principaux attributs du paraître: “L’apparence est donc ce qui est premier par rapport à nous seuls et ce qui amorce la démarche a posteriori; et pourtant l’être sans le paraître, ne serait que ce qu’il est, à savoir Esse nudum, terne substance et réalité méconnaissable.  Le paraître donne à l’être de l’éclat, mais ce n’est pas lui qui fait être l’être; le paraître ne rend pas juste la justice, ni raisonnable la raison ni vraie la vérité, il fait seulement qu’elles en aient l’air et la réputation, et que tout le monde les reconnaisse pour telles”  (Jankélévitch 1980: 15).

Dans son petit livre Le je-ne-sais-quoi et le presque-rien, Jankélévitch (1980) montre comment procède le paraître pour subjuguer.  Ces attributs du paraître instrumentent l’art de simuler, l’habileté d’avoir l,air de, le charme des bonnes manières, la flatterie, l’adresse de crocheter l’acquiescement en vue d’une domination.

Quand Hurbon nous dit que : Seule l’ambition du pouvoir confère à l’intellectuel son essence véritable” (1987:46), il resitue l’intellectuel haïtien dans son adéquation au paraître en tant que technologie de pouvoir.  Ce n’est pas tant la connaissance avec sa possibilité de pousser le regard vers la critique de l’État ou de la culture qui intéresse cet intellectuel mais plutôt le succès de sa quête de pouvoir.  Ceci nous rappelle, comme je l’ai décrit précédemment, comment la scolarisation des enfants de la paysannerie s’insère dans cette représentation.  Elle permet, en effet, d’agrandir la sphère des échanges symboliques.  Depuis 1986, les luttes internes entre les différentes classes sociales visent à prendre pied dans un processus de décolonisation et, pour y parvenir, elles privilégient la voie de la démocratie.  Toutefois, ces luttes se heurtent aux politiciens de tout acabit, qui tiennent une rhétorique impeccable sur les changements à effectuer.  Ce grand vide entre la parole et l’action, décrié par les Haïtiens eux-mêmes, appartient et à cet ordre du paraître, à l’épaisseur du vernis sur lequel glisse le réel.

L’histoire d’Haïti est sillonn;e d’ingérences multi-formes de la part de l’Occident. Et celles-ci sont validées par les représentations de la civilisation: la chrétienté contre l’animisme, l’humanisme contre la barbarie et la démocratie contre le totalitarisme.  Même si la chrétienté procède du mépris, l’humanisme d’une violence douce et d’un intégrisme, et la démocratie d’un impérialisme, le Blanc domine toujours.  La quête du pouvoir en Haïti vise un sommet à deux-têtes: la tête blanche et la tête noire.  Les attributs du Blanc sont suffisamment incorporés pour que le pouvoir noir ait l’air blanc.

Le citadin a facilement accès à cette catégorie de techniques de relation de pouvoir. L’infrastructure du système d’éducation est centralisée dans la ville: “on compte 1500 écoles urbaines contre 500 écoles rurales, alors que la campagne comprend 80% de la population: (Hurbon 1987: 32).

Le fonctionnement de ce dispositif de pouvoir s’observe aussi dans le choix de la forme culturelle de la modernité effectuée par les technocrates haïtiens et les membres de la bourgeoisie locale.  Les règles du paraître “civilisé” ou “cultivé” font de la culture occidentale exercée en Haïti, une culture conservatrice et intégriste des valeurs qui, en Occident même, sont vacillantes et remises en question par une couche médiane de la culture occidentale.  Aussi le duvaliérisme semble avoir exacerbé ce paraître en faisant de la corruption un dispositif fondamental dans le maintien de son pouvoir.  “L’ordre du simulacre” (Hurbon 1987) est la règle première du fonctionnement de l’appropriation des richesses et des privilèges:  “Ce qui caractérise l’État Duvaliérien, ce n’est donc pas nécessairement le degré de corruption administrative.  La différence Duvalier, c’est plutôt que la disparition totale du principe d’efficacité laissait le champt tout à fait libre à la corruption généralisée.  La corruption devint le seul principe, la seule raison d’être de la machine administrative.  Et elle gagna, de ce fait, une rentabilité politique jamais égalée jusqu’ici: elle garantit le support inconditionnel des fidèles du régime : (Trouillot 1986: 193).


On ne peut parler de cette technologie du paraître en dehors de l’idéologie de la couleur qui fait de la couleur blanche la représentation du “civilisé”.  En Haïti, il n’est pas rare d’entendre des paroles de mépris, mais aussi l’expression d’une fascination face à l’étranger, de ce Blanc à qui on rappelle sans cesse sa couleur: “Blan, blan” qu’on lui crie avec désinvolture, tout au long de son chemin.  Cette insistance à lui rappeler sans cesse qu’il fait tache blanche sur le noir rend compte de la différenciation sociale qui s’effectue à partir de la couleur de la peau et qui obsède le Noir dans sa relation avec le Blanc. Le processus de décolonisation se heurte encore à la représentation haïtienne des attributs corporels du Blanc.  Ces cheveux perçus comme bèl cheveu, bon tèrin (bon terrain), byen soti (bien sorti) revêtent une qualité supérieure parce qu’ils se rapprochent du cheveu du blanc : lisse et fin.  La couleur des yeux, la couleur de la peau, des traits faciaux passent par la grille blanche et sont signes de beauté, particulièrement chez des hommes de pouvoir.  Le corps n’est pas le seul moyen de blanchissement et Labelle (1978) a montré que l’aménagement de l’idéologie de couleur dans le cadre de sa fonction discriminante se combine à d’autres attributs: l’argent, le nom, le degré de scolarité, et pour l’homme des maîtresse blanches.

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