jeudi 25 décembre 2008

RAPPORTS ENTRE LA VOLONTÉ ET L'HABITUDE 3e

Différent si profondément dans leur nature, volonté et habitude exercent l'une sur l'autre une action inhibitrice profonde; le développement de la volonté est un obstacle qui s'oppose à l'établissement des habitudes; le règne des habitudes consacre l'esclavage de la volonté. Sans doute, il est des habitudes appelées volontaires: soit que les premiers actes qui les implantèrent aient été posés volontairement, soit que l'habitude elle-même ait été voulue et acquise méthodiquement par la répétition systématique de certains actes. C'est le cas des habitudes de politesse, de celles que l'on acquiert au cours de l'apprentissage ou de la formation: goût musical ou littéraire, habileté professionnelle, amour du travail.....

Mais, volontaires à l'origine. Ces attitudes de l'esprit, une fois devenues de vraies habitudes, sont indépendantes de la volonté. Bien plus, elles tiennent la volonté sous leur dépendance: elles se transforment, en effet, en besoins impérieux exigeant d'être satisfaits, même lorsque la raison conseille d'y renoncer. N'a t-on pas vu les savants incapables de maîtriser leur aspiration à savoir et sacrifier à leur passion des devoirs supérieurs, comme le soin de leur famille?

À plus forte raison la volonté est-elle affaiblie par une habitude qui s'est créée sans elle. Regardons ce vieux fonctionnaire à qui l'administration a assuré une existence facile et unie. Tout, dans sa vie professionnelle et dans sa vie domestique, est réglé sans qu'il ait jamais à prendre une décision de quelque importance.

Bientôt, il se trouve pris dans un cadre d'habitudes dont il est prisonnier: l'heure des repas, sa place au café, le trajet suivi pour aller au bureau, tout, jusqu'aux plaisanteries échangées quotidiennement avec ses collègues, est stéréotypé. Aussi le moindre changement le déconcerte; l'innovation la plus insignifiante pose pour lui des problèmes pratiques devant lesquels il s hésite; si jamais il était acculé à prendre en lui, l'habitude a supplanté la volonté.

Voici maintenant, à l'opposé, de type de l'homme chez qui le développement de la volonté a presque supprimé la faculté de contracter des habitudes. C'est un officier qui s'est proposé pour un territoire à organiser et à purger des dissidents dans le Haut-Atlas. Il dort quand il en a le temps, mange ce qu'il trouve, se le pose en changeant d'occupation, se trouve constamment devant des problèmes imprévus qu'il résout comme il peut. Que nous sommes loin de la routine bureaucratique! Pour tenir dans ces avant-postes de la civilisation, il faut l'action inventive et novatrice d'un esprit toujours en éveil et d'une volonté aussi souple que tendue. Que ce chef de poste soit rappelé dans une garnison de la métropole, il lui sera bien difficile de s'adapter aux corvées ennuyeuses et faciles devenues pour ses camarades d'école un passe-temps nécessaire. Il piaffe d'impatience et, au bout de quelques mois, ayant vainement essayé de rénover des méthodes qu'il juge surannées, il demande à rejoindre son Atlas sauvage.

Le développement de sa volonté semble avoir supprimé en lui le pouvoir de s'adapter dans une vie enserrée dans un cadre d'habitudes.

Ainsi, habitude et volonté paraissent comme les deux pôles opposés de la vie de l'esprit, deux forces antagonistes qui se disputent la prééminence.

Et comme la volonté seule est spécifiquement humaine, tandis que l'habitude est un mode d'être ou d'agir commun à tous les êtres vivants, le mot d'ordre à donner à qui veut développer en soi l'humaine nature devrait être celui-ci: cultivez en vous la faculté de vouloir, mais gardez-vous, comme du plus grand obstacle à votre progrès, de toute habitude; que toute votre activité soit toujours commandée par la volonté.

* à suivre *

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