jeudi 18 mars 2010

Comprendre l'Enfant ou l'Adolescent Vivant Le Deuil - 5e partie

Solitude et silence

Pour bien comprendre le deuil pathologique chez l’enfant et l’adolescent, tentons d’abord d’approfondir les conditions dans lesquelles Nathalie, Jacques et François ont vécu leur deuil.

Le père de Nathalie, un homme responsable dans l’éducation de ses enfants mais rigide et autoritaire, lui-même mal à l’aise avec ses émotions, a imposé à ses enfants la loi du silence suite au décès de leur mère. Il a tenté de censurer chez ses enfants toute expression de chagrin et de colère. Nathalie s’est vu imposer des tâches supplémentaires au sein de sa famille, remplaçant pour une bonne part sa mère dans l’accomplissement des tâches domestiques. Elle a également tenté de remplacer sa mère comme présence affective auprès de sa jeune sœur et de sont petit frère. En plus de réprimer l’expression de ses sentiments et de ses émotions, en plus de s’imposer de fortes exigences aux plans physique et affectif dans le remaniement de l’équilibre familial, Nathalie a sérieusement compromis son mouvement en vue de se définir une identité propre, bien à elle, clairement démarquée de celle de sa mère en prenant en quelque sorte sa place au sein de la famille.

Jacques pour sa part est sérieusement délaissé par ses parents aux prises avec des difficultés conjugales importantes. Deux figures paternelles se succèdent et disparaissent complètement de son univers au cours de ses trois premières années de vie. La mère qui éprouve de sérieuses difficultés amoureuses, puis des problèmes de santé très importants, va beaucoup négliger son fils en termes de présence attentive et d’affection. Jacques connaîtra très jeune et de façon très intense l’abandon et la solitude. À ces sentiments pénibles s’ajoutera un profond sentiment d’insécurité généré par l’instabilité des figures parentales auprès de lui. Tout au long de son enfance, Jacques demeurera très seul et tentera de contenir à l’intérieur de lui-même les sentiments et les émotions pénibles qui l’habitent. Au cours de son enfance, il n’aura jamais vraiment l’occasion d’exprimer le profond malaise qu’il ressent. Chacune des pertes qu’il subira sera vécue dans le silence.

Au décès de son épouse, le père de François se lance de façon frénétique dans son travail. Parti tôt le matin, il revient tard en soirée, souvent lorsque son fils est couché. Cette situation va durer plusieurs années. Par crainte d’être de nouveau blessé affectivement, le père de François ne s’engagera plus dans de nouvelles relations affectives. La petite compagnie de consultant en informatique qu’il possède deviendra toute sa vie et occupera tout son temps.


La grand-mère de François est une bonne personne mais triste et très renfermée sur elle-même. Elle devient très mal à l’aise lorsque son petit-fils exprime spontanément du chagrin ou de la révolte. Elle se met alors à pleurer, François apprend à réprimer l’expression de ses émotions et de ses sentiments pour éviter de faire de la peine à sa grand-mère. Au fil des mois, il devient cependant plus irritable et agité. Les quelques tentatives qu’il fera au cours de son enfance pour aborder la mort de sa mère avec son père ou sa grand-mère seront très rapidement découragées par ceux-ci qui changent le sujet de conversation. Les comportements dérangeants de François conduisent son père à adopter de plus en plus à son égard des attitudes de contrôle, de discipline et de réprimande. Malgré tous les efforts de la part du père pour « corriger » son fils, les comportements inadaptés de ce dernier ne font au contraire qu’augmenter pour finalement créer un conflit dramatique entre père et fils.

En approfondissement le processus de deuil chez ces trois jeunes, une constante essentielle ressort clairement. Ces adolescents n’ont pas eu la chance d’exprimer spontanément, dans un climat de confiance, les sentiments et les émotions qui les animaient suite à la perte d’un être aimé.

Il arrive que lors d’une perte importante les enfants affectés ne trouvent pas l’accueil, le réconfort, l’attention et le soutien de leur entourage dont ils ont besoin et se retrouvent seuls pour transiger avec leur chagrin, leur douleur et leur insécurité. Ginette Raimbault écrit :

« Le plus grand dommage pour l’avenir d’un enfant n’est pas la perte d’un parent
mais le fait qu’aucune parole de l’entourage ne soit venue lui permettre de
nommer l’événement, de le métaboliser et de le faire entrer dans son histoire. »


* à suivre *

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