vendredi 28 mai 2010

L'HOMME IMMIGRANT - 4e partie

L’accroissement des demandes lié à la diminution du réseau social de la conjointe.

Comme nous l’avons vu plus tôt, les responsabilités familiales des hommes issus de sociétés patriarcales les amènent à travailler à l’extérieur du foyer, tandis que les femmes sont davantage confinées à des tâches dirigées vers l’intérieur du foyer (effectuer les travaux ménagers, veiller au bien-être affectif des enfants). Néanmoins, celles-ci au pays d’origine, bénéficient de tout un réseau d’entraide qui va souvent bien au-delà de la famille élargie (Duval; Battaglini). Ainsi, la communauté fait en sorte que, si les femmes restent souvent à la maison, elles ne souffrent jamais d’isolement.

Dans le pays d’accueil, ces réseaux diminuent considérablement. Une étude exploratoire de Battaglini effectuée auprès de mères immigrantes en période périnatale révèle que, au-delà des origines ethniques spécifiques, l’isolement représente un élément majeur de leur expérience migratoire étant donné la taille relativement faible des réseaux familial et social et leur faible niveau de fréquentation. Ainsi, le rôle de pourvoyeur de l’homme immigrant devient non seulement déficient mais insuffisant, du moins dans les moments de crise comme lors de la venue d’un nouvel enfant : il est incité à une plus grande implication à l’intérieur de sa cellule familiale. En fait, la majorité des mères interrogées dans l’étude de Battaglini reconnaissent que leur mari s’implique davantage à la maison – autant auprès d’elles qu’auprès du bébé - , et ce, pour deux types de raisons majeures. D’abord, alors que dans le pays d’origine, la présence constante de la famille élargie autorisait le père à se consacrer exclusivement à d’autres types de responsabilités, l’immigration amène celui-ci à suppléer au soutien qu’aurait procuré le réseau naturel (en termes d’implication parentale mais aussi en termes d’échanges, d’entraide et de soutien moral et affectif à sa conjointe). Le contexte culturel québécois valorise aussi beaucoup l’implication du père alors que, dans le pays d’origine, elle y était souvent mal perçue, voire raillée, étant donné la division des rôles selon le genre, laquelle est bien ancrée dans les mentalités et les modes de vie. L’étude de Battaglini est très intéressante dans la mesure où elle montre que même si les hommes restent encore attachés à de fortes conceptions culturelles liées à leur rôle, il reste que les circonstances migratoires altèrent la complémentarité des rôles dans la famille et induisent chez eux un rapprochement (quoique limité) et un ajustement de leurs comportements auprès de leur conjointe et de leur(s) enfant(s).

Ce rapprochement assez soudain de l’homme immigrant au sein de sa famille est salutaire dans la mesure où la mère se retrouve moins seule dans une période particulièrement difficile. Cependant, il s’accompagne souvent de complication dont les effets sur les pères sont encore très peu connus. Par exemple, l’étude exploratoire de Dyke et Saucier (2000) portant sur la paternité en situation d’immigration, révèle que la redéfinition des rôles liée à la migration semble entraîner ou amplifier, chez les pères immigrants de certaines communautés culturelles, une difficulté à s’identifier à un modèle positif réel de père. Ensuite, le repartage de certaines tâches à l’intérieur du nid familial implique une négociation à laquelle les hommes immigrants sont peut préparés, négociation qui peut être vécue avec beaucoup de résistance et qui peut occasionner parfois des tensions risquant d’aboutir à de la violence conjugale (Bibeau et al.). Enfin, les pères immigrants semblent être pris dans une double contrainte entre, d’une part, assumer leurs responsabilités de répondre aux besoins économiques et matériels de la famille (travail, études, dans un contexte économique semé d’embûches). Bien sûr, ce facteur de vulnérabilité appartient souvent bien davantage à la mère qu’au père, laquelle peut être contrainte de travailler aussi, s’il y a nécessité d’un double salaire pour assurer le bien-être de la maisonnée. Cependant, on connaît mal la perception des hommes et leurs réactions face à cet accroissement de demandes. Jusqu’à présent, les recherches consacrées à l’impact de l’immigration sur les dynamiques familiales sont restées assez silencieuses sur ces questions.


* à suivre *

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