dimanche 11 juillet 2010

L'HOMME FACE À LA SÉPARATION : 5e partie

Le père et l’éducation des enfants : redéfinir son rôle

Ce nouveau contexte de vie peut également amener une redéfinition du rôle et des responsabilités du père. Au départ, les deux entrevues illustrent le jeu comme étant le médium le plus utilisé par les pères pour entrer en relation avec ses enfants. Antoine trouvait important d’apporter de la vie à ses enfants : « L’humour, le côté musical, apporter un peu de fantastique, j’inventais des histoires. » Pour sa part, Benoît mentionne :

Moi ce que j’aime le plus, puis je pense que c’est le volet, peut-être les gars,
qu’on aime le plus, le jeu physique, c’est-à-dire courir, se chatouiller, se
lancer le ballon. Je pense que c’était une des sphères qui m’appartenait.
Une tendance que la littérature confirme : « (…) il est reconnu que les pères préfèrent l’action, les jeux, les activités qui constituent, pour l’homme, des comportements appropriés (…) Ce sont les formes masculines par excellence de l’expression et des échanges affectifs » (Dulac).

Toutefois, la redéfinition du rôle de père qu’entraîne le quotidien qui suit une séparation peut constituer une occasion de réinventer son style parental, mais aussi, et peut être davantage, un défi pour beaucoup d’hommes. Le temps où le père est avec ses enfants et durant lequel il est seul à pouvoir répondre à leurs besoins exige parfois qu’il fasse des choses qu’il n’avait pas encore expérimentées jusque-là : « On sort de nos rôles comme gars, on tombe sur un terrain qui n’est pas le nôtre (…). (Benoît).

Investir ce terrain, c’est aussi prendre des risques pour développer de nouvelles habiletés. Prendre le risque d’avouer que l’on ne sait pas toujours quoi faire, comment faire par rapport à certaines situations et que l’on va peut-être se tromper, dans les aspects fondamentaux de la vie avec des enfants au quotidien : « Moi, je vais faire un effort, puis on va le faire ensemble. On a ri, des fois, c’est un peu tout croche (apparence physique) (…), j’suis encore en apprentissage ». (Benoît).

Malgré que ce contexte soit anxiogène parce que tout repose sur lui lorsqu’il est avec les enfants, cette solitude peut aussi amener une liberté d’action :
C’est moitié plus de liberté, puis d’autonomie avec mes filles et en même temps,
plus de responsabilités (…). Quand t’es en couple, puis tu veux quelque chose,
tu vas aller négocier (…). Maintenant, c’est moi qui décide comment. Je veux
qu’on parte, en fin de semaine à telle place, bien on part. (Benoît).

Ainsi, lorsqu’un père dépasse le rôle auquel il était habitué, il l’élargit autant dans ses actions que dans ses attitudes, ce qui lui apporte une plus grande polyvalence : « (en couple), on se spécialise dans certaines sphères alors que, quand t’es tout seul, tu deviens un « généraliste ». » (Benoît).

Devenir un « généraliste », c’est, entre autres, d’ajouter aux compétences dites « masculines » (habituellement le savoir faire), des habiletés associées à la féminité (habituellement le savoir être).

Laisser de côté les attitudes et les comportements dits masculins pour se laisser aller à la spontanéité des enfants, entrer dans leur monde, c’est oser se montrer vulnérable aux yeux des enfants, mais aussi des autres adultes, dont la conjointe.

J’ai commencé à danser dans la cuisine, la musique puis être les trois à danser
puis avoir l’air niaiseux. Pour moi, ça a l’air niaiseux, je me dis : « J’espère
qu’il n’y a personne qui me voit ». Mais pour eux autres, c’est leur terrain.
Avant que je sois séparé d’avec T. (ex-conjointe), je jouais avec les enfants,
c’était pas la même spontanéité qu’on a là. (Benoît).
D’ailleurs, un terrain qui est moins naturel pour les pères est celui des rapprochements physiques en dehors du jeu. Encore là, certains pères franchissent cette barrière culturelle :

(…) le contact physique, c’est aussi de prendre dans ses bras, de sentir que
t’es capable d’avoir un contact, t’sais, on est capable de se toucher, ça fait
partie de l’intimité. C’est une manière de dire d’avoir un contact, c’est de
dire c’est agréable d’être ensemble (Benoît).

Le tabou est très fort et amène des pères plus stéréotypés à fuir cette promiscuité auprès de leurs fils, par crainte qu’ils deviennent homosexuels, et avec leurs filles par association à l’inceste. Ainsi, il est très probable que des pères se permettent des caresses pour exprimer leur affection de façon assez brusque un peu plus tard. L’enfant peut interpréter ce changement d’attitude comme un rejet de la part de son père (Corneau, 1996).

Ainsi, la séparation et la modification du contexte dans lequel les liens avec les enfants continuent d’évoluer peuvent soit constituer un passage vers une diversification des habiletés ou une difficulté, voire une impasse. Le défi d’harmoniser sa conception de la masculinité avec les habiletés parentales considérés comme féminines est de taille.


* à suivre *

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