mardi 6 septembre 2011

VIOLENCE FAMILIALE 42e partie

Des techniques d’intervention
Nous retiendrons trois techniques d’intervention permettant à la cliente de reconnaître sa situation de victime. Tout d’abord, une certaine restructuration de ses connaissances « cognitives » peut s’amorcer avec l’utilisation de l’analyse transactionnelle. Par la suite, un échange se fera sur les différentes formes de violence et, finalement, la place de victime sera située dans le contexte de l’oppression des femmes. Regardons dans un premier temps les différents moyens que vous pouvez utiliser pour favoriser une restructuration cognitive.

L’Analyse transactionnelle
Cette approche analyse le fonctionnement d’un individu à partir de l’interaction de trois sphères : la zone du parent, la zone de l’adulte et celle de l’enfant. Harris décrit ainsi chacune de ces trois parties. Le parent représente les règles, les lois, les principes, les normes et les obligations qu’a intégrés une personne. La partie parent s’exprime souvent par des phrases qui commencent par « il faut; tu devrais; ce n’est pas permis de… ». Le parent établit donc les règles de fonctionnement et il est le détenteur des valeurs intégrées. L’enfant origine de la partie émotive de l’individu et correspond aux sentiments qu’il éprouve et aux demandes exprimant ses besoins. Les phrases de la partie enfant commencent souvent par : « je me sens; je vis une certaine émotion; je veux, je désire; j’ai vécu un événement…. ». L’adulte représente la partie neutre qui analyse les besoins de l’enfant et les règles du parent, et qui tranche entre les deux. Il prend une décision en considérant ce qui est le plus valable et le plus pertinent dans une situation donnée. L’adulte joue, en quelque sorte, le rôle de l’avocat. Il est un arbitre.

En reprenant ces principes de base, l’analyse de la relation de violence peut se faire ainsi : L’agresseur joue le rôle du parent, il détermine les règles, les normes et donne les punitions. La victime joue le rôle de l’enfant. Elle doit être en position de dépendance vis-à-vis du parent; elle doit répondre aux exigences de celui-ci, assurer son soutien affectif et être à l’écoute de ses besoins. Elle doit même soulager les tensions émotives du parent. La victime se définit à partir des règles de l’agresseur et dépend de lui pour établir ses comportements. Ces deux fonctions fusionnent la victime et l’agresseur. La partie adulte n’est pas représentée dans la relation de violence. En effet, il n’y a pas de négociation et la loi de l’agresseur domine. L’existence d’un comportement « adulte » nécessiterait des comportements affirmatifs de la part de l’agresseur et de la victime. Toutefois l’agresseur et la victime n’ont pas un mode de comportement affirmatif.

Une autre analyse nous paraît importante. Dans la société, les femmes doivent aussi occuper la fonction enfant. En effet, douceur, émotivité, fragilité sont des traits qu’elles doivent avoir. Elles font peu l’apprentissage de l’autonomie dans les enseignements qu’elles reçoivent. Elles n’ont pas accès à des comportements affirmatifs. D’autre part, les hommes reçoivent le pouvoir associé à la fonction parent. Ce sont eux qui déterminent les règles sociales et économiques de la société, dominent les femmes et basent leurs réalisations économiques sur l’exploitation de ces dernières. Ils intègrent donc la fonction de parent. Les rapports entre les hommes et les femmes sont donc teintés de ces apprentissages et la relation conjugale risque de reproduire ce modèle : dominant-dominée.

Ces apprentissages réduisent l’habilité des hommes à exprimer leurs émotions. De leur côté, les femmes apprennent peu à imposer leurs valeurs et leurs lois. Le manque de fonctionnement affirmatif (l’adulte) maintient l’absence de la zone de négociation. La zone parent de la victime reprend les règles, lois et normes de l’agresseur. Son parent est donc le reflet du parent de l’agresseur.

En partant de ce cadre d’analyse, vous expliquez à la cliente les notions de base du « P-A-E » (Parent-Enfant-Adulte). À partir de ces concepts, elle dessine l’espace correspondant à chacune de ses parties. De façon générale, les femmes battues dessinent une partie parent qui occupe une place majeure. La zone enfant se fait petite et l’adulte est peu représentée. Cette description illustre l’obligation qu’elles se donnent de jouer les rôles de mère et d’épouse. Leur partie parent gère les normes avec lesquelles elles doivent composer pour assurer leur sécurité. Leur partie enfant est sous-représentée. Pour survivre, elles censurent leurs besoins, ne s’occupant que de ceux de l’agresseur, et contrôlent leurs émotions pour éviter de subir de nouvelles agressions. Leur partie adulte ne fixe pas les limites nécessaires au maintien de son espace personnel; elle n’évalue pas le prix de la violence et n’affirme pas ses propres règles.

Après le dessin « P-A-E », vous demandez à la cliente de nommer les lois de son parent et d’identifier celles qui reprennent les normes de l’agresseur : tu dois t’occuper des enfants et demeurer à la maison, tu dois répondre aux besoins sexuels de ton partenaire, tu ne dois pas travailler à l’extérieur du foyer, etc. Elle peut alors découvrir que les règles qu’elle s’est fixées sont bien souvent celles de son agresseur. Elles les a faites siennes pour assurer sa protection et ne discerne plus celles qui assureraient l’épanouissement de son enfant.

À partir de ce constat, vous partagez avec la cliente l’analyse de sa position de victime ne lui montrant clairement que l’agresseur lui a inculqué ses propres critères. Il la victimise par ce procédé. En effet, la sphère enfant de la femme battue réagit non pas à ce qu’elle désire dans sa propre vie, mais à ce que l’agresseur lui impose comme règle de fonctionnement. Elle est dépourvue de son autonomie, de son droit d’exprimer ses besoins et de ressentir ses émotions. Son enfant étouffe.

Cette démarche permet à la cliente de reconnaître son rôle de victime et de réaliser la précarité de sa position. Pour modifier cela, elle aura besoin de développer sa partie adulte – par l’entraînement à l’affirmation de soi – et de reconnaître les normes de son agresseur qu’elle a fait siennes. Se voir victime amène la femme battue à prendre conscience de ses comportements de retrait et de sa perte d’estime en elle et en lui. Cela assure une base de réflexion pour modifier la situation.

Après cette période d’échange sur son état de victime, vous favoriserez des discussions pouvant conscientiser la femme battue. Vous mettrez en parallèle les stéréotypes féminins et le rôle de victime. Il est facile, en tant que femme, de s’oublier, de répondre aux rôles féminins, d’abandonner ainsi ses besoins personnels et son droit à la sécurité psychologique et physique

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