samedi 17 septembre 2011

VIOLENCE FAMILIALE 47e partie

Voici un exemple d’un dessin du cœur fait par une femme violentée.

Ce dessin a permis à la cliente de prendre conscience qu’elle n’avait pas le droit d’exister. Dans un premier temps, elle a verbalisé des sentiments de tristesse lorsqu’elle a réalisé qu’elle n’occupait aucune place dans sa vie.
Par la suite, elle a éprouvé de la colère et de la révolte. Elle se sentait étouffée par l’agresseur et par sa famille immédiate. Elle se sentait abandonnée à la suite de sa rupture avec son conjoint violent. La section occupée par ce dernier devenait une zone de honte, de culpabilité. Elle portait les torts de la rupture puisque l’agresseur refusait une telle solution. Elle lui conservait un espace dans son « cœur », ne sachant pas encore si elle parviendrait à affronter la peur de la solitude et l’angoisse de répondre seule aux besoins de son fils. De plus, elle vivait péniblement les demandes excessives de son frère qui exerçait des violences psychologiques sur elle. Celui-ci la culpabilisait d’avoir amorcé un processus de séparation. La cliente a identifié, à partir du dessin de son cœur, qu’elle avait deux agresseurs et que l’un et l’autre prenaient de plus en plus d’espace, la réduisant à un rôle de servante. Elle a d’ailleurs dessiné l’excroissance qu’elle devrait faire à son cœur pour répondre aux demandes supplémentaires de son frère, après le départ de l’agresseur.

C’est donc à partir de cette technique du dessin que la femme violentée a pu « avoir accès » à certaines émotions qu’elle a pu clairement identifier. Elle est partie avec son dessin. Il représentait une étape importante dans son cheminement.

Le deuxième niveau d’exploration de ce dessin s’élabore à partir d’une image mentale qui doit aider la cliente à approfondir certaines émotions. Vous invitez la femme battue à fermer les yeux. Elle tente de voir et de sentir son cœur, en respirant lentement, afin de se « connecter » avec la représentation de son cœur. Pour faciliter l’exercice, vos pouvez faire progressivement des suggestions à la cliente. Son cœur est-il fatigué, essoufflé, le sent-elle gai, triste, anxieux, ou encore excité? Bat-il rapidement, avec peine? Si elle retient l’une de ces suggestions, vous lui demandez de laisser son cœur s’exprimer pour qu’il raconte ce qui le rend essoufflé ou heureux, etc. Est-ce qu’il sait pourquoi il se sent comme ça? Cette sensation l’attriste-t-il ou l’épuise-t-il? Encouragée à s’exprimer en se centrant sur ses émotions, elle parviendra à dégager de nouveaux sentiments et à accepter d’en laisser surgir d’autres, difficiles à vivre.

Il suffit parfois de quelques suggestions pour que la cliente poursuivre d’elle-même la description de son cœur et de ses émotions. Reçoit-il tout le sang dont il a besoin, dans toutes ses sections? Se sent-il desséché? Lorsque la femme battue « ventile » certaines émotions, vous continuez à mettre en valeur ces sentiments : « il a bien raison de se sentir triste, il a beaucoup de morceaux cassés. »

Ces images mentales peuvent se poursuivre avec une variante. Si les descriptions de la cliente demeurent à un niveau rationnel, vous lui proposez la simulation suivante : vous êtes la voix de son cœur à laquelle elle répond. Vous lui parlez évidemment du contenu émotif de ce dernier. Voici un exemple :

Intervenante (le cœur) : Je suis fatiguée de « battre » pour tout le monde, de m’épuiser et de ne jamais penser à moi.

Cliente : Tu as fait cela toute ta vie. Ça te rend heureux de le faire pour les gens que tu aimes.

Intervenante (le cœur) : Tu dis cela parce que tu ne m’écoutes jamais. Si tu m’écoutais, tu saurais que je suis triste. Tu sais bien que des fois j’ai envie de cesser de « battre ».

Cliente : Je me sens vraiment comme si j’étais morte….
Le contenu exploré lors de cet exercice reprend des sujets déjà évoqués indirectement par la femme battue ou aborde un contenu émotif qu’elle fuit. Si les sentiments suggérés ne sont pas conformes à ceux qu’elle ressent, la cliente propose une autre émotion plus appropriée et cette correction lui permet de poursuivre sa progression personnelle. Toutefois, les négations ou les fuites de la cliente sont soulignées et travaillées de la même façon que ses résistances.

Au cours de rencontres ultérieures, cet exercice peut être repris. C’est alors la femme violentée qui mène elle-même la discussion : la tête parle au cœur et ce dernier lui répond. Le dialogue se fait de la façon suivante : le rationnel versus l’émotif. Le rôle de l’intervenante consiste uniquement à s’assurer que le contenu soit rationnel, dans un cas, et émotif, dans l’autre. Voici un court exemple :

Le cœur : J’ai besoin que tu t’informes de moi.
La tête : Je t’entends.
Le cœur : Mais tu ne m’écoutes pas, tu n’accordes pas d’importance à ce que je vis.
La tête : Je reconnais ta souffrance.
Le cœur : Je suis content que tu reconnaisses ma souffrance et je suis certain que tu y répondras.

L’intervenante interrompt l’échange parce que la dernière verbalisation du cœur ne correspond pas aux gestes posés par la cliente au cours des jours précédents. « Je ne suis pas certaine que ton cœur ait parlé librement lors de la dernière expression. Qu’est-ce que la tête essaie de contrôler en parlant à la place du cœur? » À partir de cette réflexion, la femme violentée essaie d’identifier quels sentiments elle tente d’étouffer ou de nier.

Les images mentales sont un moyen d’aborder symboliquement des situations empreintes d’émotion. Ce type de technique n’est pas menaçant et permet la découverte de sentiments.

La troisième possibilité de travail avec le dessin du cœur concerne l’exploration des sentiments reliés aux pertes subies. La cliente dessine les parties de son cœur qui la font souffrir. Vous lui demandez si elle a d’anciennes blessures qui se sont cicatrisées. Si elle répond affirmativement, elle dessine les endroits où se trouvent ces cicatrices. Vous pouvez voir avec elle ce que signifient ces vieilles blessures, ce qu’elle a vécu et ce qu’elle ressent encore en les dessinant. Le symbole des cicatrices permet, dans certains cas d’identifier, avec la cliente, des expériences qui la confinent à un sentiment d’impuissance et à la passivité, comme un inceste dont elle a été victime dans son enfance, son passé douloureux d’enfant battue, etc. Il y a également des gestes dont elle se sent coupable : un avortement, le placement temporaire de ses enfants, etc. Les cicatrices, souvent associées à des expériences pénibles, sont, dans bien des cas, porteuses de culpabilité, de honte ou d’un sentiment d’échec. Elles génèrent parfois des sentiments analogues à ceux éprouvés dans la situation de violence conjugale.

Dans la figure 3, la femme violentée a identifié deux de ses blessures : celle faite par son fils, lors de la séparation du couple, et celle reliée à son passé d’enfant battue. La première blessure rappelait à la cliente la culpabilité qu’elle ressentait envers son fils et les comportements d’agression de ce dernier envers elle. La deuxième blessure lui rappelait le sentiment qu’elle avait d’avoir été rejetée par son père. À cela s’ajoutait la peur de prendre sa place et de faire des demandes. De plus, la femme disait ressentir des peurs semblables face à son conjoint.

Dans le même ordre d’idée, la cliente peut dessiner ses plaies et ses blessures actuelles et, en tenant de nommer ces douleurs et de vivre les émotions qui s’y rattachent, elle peut aussi noter ci certaines parties de son cœur saignent. Dans la figure 3, la cliente a dessiné des gouttelettes, de sang à deux endroits : celui de son fils et celui de son conjoint. Ces gouttes de sang symbolisant la tristesse causée par la perte de sa famille et par les agressions de ces deux personnes. La femme violentée peut alors « ventiler » les sentiments immédiats qu’elle éprouve. Vous lui offrirez le soutien nécessaire pour qu’elle s’autorise et réussisse à verbaliser son vécu émotif. Vous l’aiderez à demeurer centrée sur elle-même, afin qu’elle parvienne à libérer ses tensions émotives.

Le sentiment d’abandon, consécutif au départ effectif ou probable de certaines personnes, peut être représenté par les « vides » laissés dans le cœur. Cette étape du dessin met en évidence certaines peurs des femmes violentées : la peur de la solitude, le sentiment d’abandon, le vide affectif. La rupture possible de la relation est alors discutée, avec tout ce qu’elle soulève de craintes et d’appréhension chez la femme. De plus, il est possible d’aborder les moyens que se donne la cliente pour survivre en dépit de ce cœur blessé. Elle peut prendre conscience des mécanismes qu’elle a mis en place pour maintenir au minimum ce cœur en vie. Comment comble-t-elle les « vides »? Que fait-elle avec l’énergie qui se perd par les saignements?

Dans la figure 3, les pertes de la rupture sont représentées par les parties hachurées. Cette femme se retrouvait face à un vide affectif important à la suite du départ de l’agresseur. De plus, sa sœur lui retirait son affection parce qu’elle ne croyait pas en la capacité de persévérance de la cliente. Pour éviter que les « vides » ne s’agrandissent, cette cliente tentait de répondre aux demandes excessives de son entourage. Elle se sentait alors exploitée et non respectée par les autres.

La dernière étape de la technique du dessin du cœur s’appuie sur l’importance pour la femme violentée est de se « donner une place » et de prendre soin d’elle. Quand les diverses blessures auront été identifiées et leur contenu émotif exploré, la cliente essaiera de trouver des moyens pour soigner son cœur : se faire une place à soi, s’aimer, se reconnaître le droit d’être, d’avoir des besoins, de s’affirmer, etc. Elle évaluera également le coût et les risques de ces moyens. En contre-partie, elle devra aussi estimer ce qu’il lui en coûtera de na pas s’occuper des besoins de son cœur.

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