vendredi 6 avril 2012

LA DÉTRESSE DES HOMMES - 62e partie

CARENCES AFFECTIVES

La dépendance a une empreinte.

Au cours de leur enfance, de leur adolescence ou au début de leur âge adulte, ces personnes ont vécu une expérience marquante au sein d'une relation affective significative, familiale, amoureuse ou autre. N'ayant pas fait le deuil ou la séparation avec ce passé, elles ne réussissent pas à s'en détacher et interprètent le présent dans la crainte ou l'espoir d'une possible répétition de ce malheur ou de ce bonheur.

Face à une expérience nouvelle, ces femmes et ces hommes tendent à réagir en fonction d'un souvenir-fantasme ayant la force d'une empreinte psychique, plutôt qu'au potentiel d'originalité ou d'exploration de soi et de l'autre qu'offre la réalité du présent.

À 21 ans, Gilles, pour la première fois de sa vie, louait un appartement avec son amie Manon, et non plus avec des copains ou copines d'université. Quatre mois plus tard, en plein hiver, le drame éclatait. Manon annonçait à Gilles sa décision de se séparer et lui demandait d'aller vivre ailleurs.

Quinze ans plus tard, Gilles revivait pour la xième fois une nouvelle séparation d'avec une conjointe parce qu'il lui refusait de partager son projet d'habiter ensemble. Gilles s'était juré de ne jamais plus lier amour et cohabitation. Parfois, il se trouvait trop rigide, mais sa peur finissait toujours par l'emporter.



Dépendants Affectifs.

Tout au long de son enfance et de sa jeune adolescence, Elizabeth, adulée par un père présent, dynamique et stimulant, se voyait comme une princesse. À 23 ans, elle recherche en des amours multiples et passionnés, éphémères et décevants, ce sentiment si valorisant d'être la personne la plus importante et la plus merveilleuse aux yeux de ses conjoints. Quand ses amies lui soulignent qu'elle semble rechercher un père idéal plus qu'un conjoint à son égal, elle répond qu'elle ne peut pas se contenter de moins que ce qu'elle a connu.

En 1987, le DSM III Révisé présente une seconde définition qui remplace les trois critères monothétiques de 1980 par neuf critères polythétiques, c'est-à-dire que la présence de cinq parmi ceux-ci suffit pour établir un diagnostic de personnalité dépendante. Voici les critères tels que les les présentent loas et Guelfi.

Mode général de comportement dépendant et soumis, apparaissant au début de l'âge adulte et présent dans des contextes divers, comme en témoignent au moins cinq des manifestations suivantes:




Les manifestations sont:
  1. est incapable de prendre des décisions dans la vie de tous les jours sans être rassuré(e) ou conscillé(e) de manière excessive par autrui;
  2. laisse autrui prendre la plupart des décisions importantes le (la) concernant, par exemple où habiter ou quel emploi prendre;

  1. se montre "d'abord" avec les gens, même quand il (elle) pense qu'il se trompe, par crainte d'être rejeté(e);
  2. a du mal à mettre en route des projets ou à faire des choses seul(e);
  3. se porte volontaire pour faire des choses désagréables ou dévalorisantes pour se faire aimer par les autres;
  4. se sent mal à l'aise ou impuissant quand il (elle) est seul(e) ou fait des efforts considérables pour éviter d'être seul(e);
  5. se sent annihilé(e) ou impuissant(e) quand une relation proche s'interrompt;
  6. est fréquemment préoccupé(e) par la crainte d'être abandonné(e);
  7. est facilement blessé(e) quand il (elle) est critiqué(e) ou désapprouvé(e) par autrui;

Le DSM III-R retient deux facteurs prédisposants (une maladie physique chronique pendant l'enfance ou l'adolescence, l'angoisse de séparation de l'enfance et conserve les complications potentielles de la première version (dépression majeure, trouble dysthémique).



Cette présentation de la dépendance laisse sur sa faim. Quels liens fait-on entre les facteurs prédisposants, les traits caractéristiques et les complications potentielles? Y-a-t-il des facteurs précipitants ou perpétuants? Une telle définition, toute schématique soit elle, répondrait-elle plus à un besoin d'étiqueter qu'à un désir de comprendre ce trouble de la personnalité dans ses dynamiques et ses contextes d'évolution?

Dans la notion séparation - individuation, Margaret Mahler, théoricienne et clinicienne de la psychanalyse, a formulé l'hypothèse d'une phase déterminante pour le développement psychologique. Mahler et son équipe (1980) ont observé le processus de séparation individuation entre des enfants, âgés de quelques mois à trois ans, et leur mère. Distincte de la naissance biologique, se ferait par étapes. Les adultes significatifs, notamment la mère, joueraient un rôle-clé en favorisant ou non chez l'enfant l'acquisition de ses propres caractéristiques individuelles.




Pour terminer cette partie sur les dynamiques de dépendance, il demeure essentiel de définir la personnalité indépendante. En fait, dans un contexte de relation interpersonnelle, l'indépendance ne saurait exister sans l'autonomie.

Par ailleurs, comment décrire l'indépendance:
  1. la personne indépendante associe l'estime de soi à l'individualité, cette affirmation d'être à la fois semblable et différent, à cent lieux de l'individualisme qui prône le chacun pour soi et l'égocentrisme.
  2. Il s'agit de femmes et d'hommes qui se reconnaissent une valeur constante, cultivent leurs relations d'intimité; apprécient l'engagement et multiplient leurs sources d'expériences valorisantes.
  3. Fidèles en amitié et en amour sans exiger l'exclusivité, centrées sur elles-mêmes mais dénuées d'égoïsme ou d'égocentrisme, recherchent la critique créatrice, ces personnes curieuses se sentent à l'aise à expérimenter et à explorer.
  4. l'intimité; l'engagement, l'affirmation de soi et la liberté leur apparaissent tout à fait compatibles.
Mais parce qu'on n'est jamais tout à fait blanc ou tout à fait noir, il se peut fort bien que des aspects de dynamique d'indépendance côtoient parfois, par exemple en situation de crise, des éléments de dynamique de dépendance. En ce sens, l'indépendance et l'autonomie demeurent des idéaux, mais combien stimulants, motivants, épanouissants quand ils favorisent le développement de l'individualité et de la coopération dans un élément de respect et d'échange réciproques?


Conclusion.

Croire que la dépendance est de l'amour, voilà un autre malentendu très courant auquel les psychothérapeutes sont confrontés quotidiennement. L'un de ses effets les plus spectaculaires apparaît chez l'individu qui menace ou tente de se suicider, ou qui fait de la dépression à la suite du rejet ou de la séparation d'un amant ou d'un époux.

Une telle personne dira:

Je ne peux pas vivre sans mon mari (ma femme, mon amie), je l'aime tellement!
Et je réponds:
Vous faites erreur, vous ne l'aimez pas.
Mais, reprend-elle en colère, je viens de vous dire que je ne pouvais pas vivre sans lui (elle, etc.).
Alors j'essaie d'expliquer:
Ce que vous décrivez, c'est du parasitisme, pas de l'amour. Lorsqu'on a besoin d'un autre individu pour survivre, on est un parasite de cet individu. Il n'y a pas de liberté dans votre relation. Il s'agit de besoin plutôt que d'amour. L'amour est un choix délibéré. Deux personnes ne s'aiment vraiment que lorsqu'elles sont capables de vivre l'une sans l'autre mais choisissent de vivre ensemble.

Je définis la dépendance comme l'incapacité de se reconnaître comme un tout et de fonctionner correctement sans avoir la certitude qu'on est pris en charge par quelqu'un. La dépendance chez les adultes physiquement sains relève de la pathologie; elle est malsaine et toujours la manifestation d'une déficience ou d'une maladie mentale.

Il faut la distinguer de ce qu'on appelle communément les besoins ou sentiments de dépendance que nous avons tous, même si nous affirmons à nous-mêmes et aux autres le contraire. Nous avons tous le désir que quelqu'un s'occupe de nous, le désir de recevoir sans effort, d'être choyés par quelqu'un de plus fort que nous-même si nous sommes des adultes responsables, en regardant au fond de nous-mêmes avec lucidité, nous trouverons toujours un désir d'être chouchoutés.




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