lundi 25 juin 2012

LA PHILOSOPHIE - 8e partie


DESCARTES  ET  LA  MÉTHODE

Descartes, dans la cinquième partie du Discours de la Méthode, différencie l’homme de l’animal par les deux traits suivants : le langage artificiel ou conventionnel et la faculté de s’adapter. Mais le langage artificiel consiste à « composer » les signes, c'est-à-dire à les ajuster les uns aux autres, à désigner, en définitive à les adapter. Pouvoir s’adapter était donc, pour Descartes, la caractéristique essentielle de l’homme, le signe de l’intelligence ou de la raison : «  au lieu que ces organes (des animaux) ont besoin de quelque particulière disposition pour chaque action particulière », la raison est un instrument qui peut servir en toutes sortes de rencontres. Les philosophes ont repris cette idée et voient volontiers dans l’intelligence la fonction qui adapte des moyens à des fins. Cette définition est-elle parfaite? D’abord convient-elle à tout le défini, et l’intelligence a-telle pour fonction unique, d’adapter les moyens à la fin? Ensuite, convient-elle au seul défini, c'est-à-dire est-elle seule à réaliser cette adaptation?

Adapter les moyens à la fin est bien une des fonctions de l’intelligence et la fonction essentielle sinon unique de l’intelligence pratique.

Qu’est-ce qu’un ingénieur intelligent? Celui qui trouve les meilleurs moyens, c'est-à-dire les moyens les plus économiques, les plus sûrs, les plus esthétiques, de réaliser le résultat que veut obtenir celui qui fait appel à ses services. De même, le chef intelligent est celui  qui sait se faire obéir sans recourir aux procédés extrêmes que sont les renvois et les punitions. Dans le travail intellectuel lui-même, l’intelligence se manifeste dans la faculté de s’adapter : Nous le savons par expérience, nos échecs en dissertation philosophique tiennent beaucoup moins à notre ignorance qu’à notre maladresse à adapter notre savoir à la solution du problème posé.

Mais l’adaptation des moyens à des fins n’est pas la fonction unique de l’intelligence. On peut même douter que ce soit là sa fonction essentielle, celle qui donne l’explication la plus profonde de la grande prérogative de l’homme.

D’abord, en définissant l’intelligence comme la faculté d’adapter les moyens aux fins, on suggère qu’elle a pour fonction essentielle la pratique ou, suivant le mot de M. Bergson, qu’elle n’est qu’un  « annexe de la faculté d’agir ».Or, s’il est légitime de penser que ce sont les nécessités de l’action qui ont provoqué la réflexion de l’homme et développé son intelligence, ce n’est pas le lieu de discuter cette hypothèse. Il est bien évident que l’homme civilisé ne réfléchit pas seulement dans le but de diriger son action, mais qu’il cherche aussi à comprendre pour comprendre. Servir à l’action est une des fonctions de l’intelligence, mais non la seule. L’intelligence établit des rapports de causalité en vue d’un résultat à obtenir; mais elle les établit aussi dans le seul but de connaître les relations causales qui relient les phénomènes entre eux.

D’ailleurs l’intelligence ne se borne pas à la considération des rapports de causalité. Elle perçoit aussi des rapports d’identité, d’égalité, de ressemblance…Les mathématiques, dans lesquelles l’intelligence intervient pour ainsi dire à l’état pur, c'est-à-dire sans souci immédiat de réalisation pratique, procèdent en établissant des rapports d’identité ou d’équivalence.

Enfin, il ne paraît pas très psychologique de caractériser  l’intelligence par cette fonction d’adaptation : elle est aussi et même surtout la faculté de contrôler si, dans les groupements de choses ou d’idées qui se présentent à elle, il y a adaptation ou non. Pour l’élève qui doit résoudre un problème en faisant appel à des connaissances acquises, adapter son acquis à la solution du problème posé est affaire d’intelligence, mais c’est aussi  un acte d’intelligence que le jugement du correcteur déclarant que le sujet est bien mal traité. Ne serait-il pas même plus juste de dire que l’intelligence se borne à cette fonction de contrôle? Les moyens sont proposés par l’imagination, et l’intelligence n’a qu’à choisir entre ce que l’imagination propose.

Nous pouvons cependant accorder que l’adaptation des moyens à la fin est une des fonctions de l’intelligence : c’est la réduction de l’intelligence à cette fonction qui ne peut être admise.

De plus, l’adaptation des moyens à une fin ne semble pas la fonction essentielle de l’intelligence, même de l’intelligence pratique. Tout d’abord, en définissant l’intelligence par la fonction de s’adapter, on la fait connaître, non pas en elle-même, mais par une de ses manifestations extrinsèques, par une de ses applications. C’est l’acte ou la fonction propre de l’intelligence qu’il faudrait préciser.

Or, si nous réfléchissons au mode d’activité de l’esprit qui adapte les moyens aux fins ou les principes aux conséquences, et si nous cherchons l’élément commun à toute activité de l’intelligence, nous trouverons, semble-t-il, l’intuition de rapports. Toute activité théorique de l’intelligence, c'est-à-dire, toute activité n’ayant pour but que de comprendre, se ramène à une intuition de rapports. Quant à l’activité pratique, elle comporte sans doute l’adaptation des moyens à la fin poursuivie, mais cette adaptation est dirigée par l’intuition des rapports qui relient les moyens à la fin : c’est l’intuition de ces rapports qui rend cette activité intelligente.

L’adaptation des moyens à la fin peut donc servir de signe pratique de l’intelligence, mais on ne peut définir l’intelligence par cette fonction d’adapter des moyens à des fins : cette définition ne convient pas à tout le défini. Convient-elle au seul défini?
Que l’intelligence soit le seul mode d’activité qui adapte les moyens à la fin, fait figure de principe premier : ne pas admettre cette proposition semble équivaloir au rejet du principe de raison suffisante. Cependant, il est facile de le montrer, il y a bien des cas dans lesquels nous constatons que des moyens sont adaptés à des fins déterminées sans qu’intervienne l’intelligence.

Observons l’animal. Voici un oiseau enfermé dans une cage truquée, qui s’ouvrira lorsque le captif ira se pencher sur un trapèze dont il provoquera le balancement. Il se heurte au grillage, s’agrippe aux barreaux, saute d’un perchoir sur l’autre. C’est par hasard qu’il s’arrête sur le trapèze qui commande l’ouverture de sa prison. Mais c’est par choix que, après quelques expériences de ce genre, lorsqu’il sera de nouveau emprisonné, il se posera sur le trapèze libérateur : il adoptera alors les moyens à la fin; recouvrer  sa liberté : dirons-nous qu’il agit intelligemment? Non, car il s’est contenté de voleter au hasard et de répéter les mouvements fortuits qui aboutissaient au résultat désiré. Pour être intelligent, il faut autre chose. Quoi ?,  nous le préciserons plus loin.

Arrêtons-nous maintenant devant une abeille qui bâtit son alvéole suivant les règles immuables de son espèce, ou devant une araignée qui tisse sa toile et la dispose de telle sorte qu’elle atteigne son but : capturer des mouches. Là, point de tâtonnements : l’insecte va devant soi avec la sûreté d’un vieux praticien. Nous ne dirons pas qu’il agit intelligemment. Son habileté, nous l’expliquons par l’instinct, et l’instinct s’oppose à l’intelligence. Cependant, ici, plus que dans le cas précédent, il y a adaptation des moyens à une fin.

Si nous passons à l’homme, nous retrouverons les activités adaptées, et cependant inintelligentes, observées chez l’animal. Nous aussi, nous procédons parfois par sélection de tâtonnements fortuits, retenant pour les reproduire ceux que nous savons procurer l’effet désiré. C’est ainsi que procède le paysan pour le choix de ses engrais, ou même le médecin pour celui des remèdes. Ce procédé est propre à la méthode empirique, celle dans laquelle l’intelligence joue le rôle le plus effacé.

Il n’est guère chez l’adulte du moins, de savoir-faire instinctif, mais on y trouve, multiplié, leur équivalent : les routines. Voici un artificier vieilli dans le métier. Il sait préparer à coup sûr les mélanges qui produiront les plus fortes explosions ou les couleurs les plus agréables; il adapte parfaitement les moyens à la fin. Cependant, nous ne dirons pas qu’il est intelligent.

Ce n’est donc pas l’intelligence seule qui adapte les moyens aux fins. Par suite, nous devons conclure que la définition de l’intelligence par l’adaptation des moyens à la fin ne peut pas  être retenue : elle ne convient pas au seul défini.

Que faut-il donc pour que l’adaptation soit attribuée à l’intelligence? Qu’elle soit déterminée par la connaissance des rapports qu’il y a entre les moyens et la fin. Chez l’oiseau habitué à ouvrir sa cage en se posant sur le perchoir dont le mouvement déclenche l’ouverture, chez l’insecte suivant rigoureusement les rites ancestraux, il y a  une association de représentations ou de mouvements : il n’y a point d’intuition des rapports qui existent entre ces divers mouvements. De même, l’ouvrier artificier sait quel produit donnera à la flamme une teinte verte ou rouge : il ignore pourquoi la teinte est de cette couleur. Il semble donc qu’une définition de l’intelligence convenant à tout le défini et au seul défini serait la suivante : l’intelligence est la faculté de percevoir des rapports.
On doit à Descartes la formule la plus célèbre de la philosophie universelle de tous les temps, le «  Je pense, donc je suis » que n’ont cessé de méditer les philosophes. Car Descartes marque une étape fondamentale dans l’histoire de la pensée; il existe désormais un avant et un après.

On dit souvent que les Français sont « cartésiens ». Est-ce à cause d’un goût inné pour le raisonnement? En raison de la pratique du doute systématique ou du scepticisme propre à «  ne pas s’en laisser conter »? Est-ce aussi par cette tendance à appliquer une méthode à toutes les activités intellectuelles ou bien encore parce que raison et passion affrontées font partie de notre patrimoine culturel? Est-ce enfin et surtout parce que Descartes est le plus grand des philosophes français?

Dans le « Cogito  Ergo Sum », Descartes prouve par ce « je pense » la priorité de l’âme sur le corps. L’existence de l’esprit, la réalité de Dieu, la certitude de la vérité et, en dernière analyse la simple possibilité de parvenir à la connaissance. Réfutant tout par un doute systématique et universel (« douterais-je de tout y compris de mon doute.»), Descartes ne parvient qu’à une seule certitude, celle de la pensée.

Dans ses Méditations Métaphysiques (le morceau de cire), il écrit : « Si l’évidence est ce dont on ne peut douter, ce que nous percevons pourrait être tenu pour vrai dès lors que nous en avons une connaissance sensible. Or, les sens peuvent nous tromper, comme la cire, dans l’aspect qu’elle prend selon que l’on fait varier sa forme; pourtant c’est toujours de la cire, nous le savons par une inspection de l’esprit, » une connaissance rationnelle qui nous permet de dégager l’essence des choses à travers leur apparence. L’idée de la cire préexiste dans notre esprit, elle est innée, immuable dans son essence. Ainsi, par cette « intuition » rationnelle, et de cette façon seulement, pouvons-nous parvenir à la connaissance. Tout autre mode de connaissance est source d’erreur.

Les principes de philosophie constituent une sorte de manuel à l’usage de ceux qui voudraient connaître et appliquer le programme cartésien. Descartes y expose clairement sa méthode, ses principes, il y fait la synthèse de ses idées.

Dans les quatre règles de la Méthode, Descartes avertit le lecteur que son dessein n’est pas de procurer à chacun une méthode universelle pour « bien conduire sa raison », mais démontrer à travers son cheminement personnel et son expérience, comment il est parvenu, lui, à bien conduire  la sienne.  « Le bon sens est la chose du monde la mieux partagée », dit Descartes dès la première ligne : ainsi l’erreur ne vient pas de la diversité des opinions, mais de la méthode qui conduit à la vérité.

Ses 4  règles sont : La Première était de ne recevoir jamais aucune chose pour vraie, que je ne la connusse évidemment être telle : c'est-à-dire d’éviter soigneusement la précipitation et la prévention; et de ne comprendre rien de plus en mes jugements, que ce qui se présenterait si clairement et si distinctement à mon esprit, que je n’eusse aucune occasion de la mettre en doute.

La seconde : de diviser chacune des difficultés que j’examinerais, en autant de parcelles qu’il se pourrait et qu’il serait requis pour mieux les résoudre.

La troisième, de conduire par ordre mes pensées, en commençant par les objets les plus simples et les plus aisés à connaître, pour monter peu à peu, comme par degrés, jusqu’à la connaissance des plus composés; et supposent même de l’ordre entre ceux qui ne se précèdent point naturellement les uns les autres.

Et la dernière, de faire partout des dénombrements si entiers, et des revues si générales, que je fusse assuré de ne rien omettre.


DesCartes, le père du rationalisme.  Par analyse puis la synthèse, tous les problèmes sont explicables en causes et conséquences les passions peuvent être transformées en vertus par la volonté.  DesCartes prône la modération et la persévérance; mieux vaut changer ses désirs que l’ordre du monde....il prouve l’existence de Dieu par la raison: “Comment serait-il, possible que je pusse connaître que je doute et que je désire, c’est à dire qu’il me manque quelque chose et que je ne suis pas tout parfait, si je n’avais en moi aucune idée d’un être plus parfait que le mien, par la comparaison duquel je connaîtrais les défauts de ma nature?”
Discours de la méthode (1637) méditations métaphysiques (1641), Principes de la philosophie (1644). 

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