vendredi 10 mai 2013

RAPPORTS SOCIAUX ET SIDA DANS LA COMMUNAUTÉ HAÏTIENNE - SUITE


Perception de la maladie
Les institutions religieuses aident à répondre à la question: “Pourquoi le sida?”.  Mais lorsqu’une personne est atteinte, elles répondent à la question que celle-ci se pose: “Pourquoi, c’est moi qui ai le sida?”. La mise en cause de la maladie oriente les choix de traitement que le malade choisira.

Dans la culture haïtienne il y a deux grandes catégories de maladie : maladi bon dié (maladie du bon dieu) et maladi diab (maladie du diable).  Si la maladie est envisagée en tant que maladie bon dié, c’est le destin qui en est responsable.  Dès lors, on s’interroge sur la conduite de la personne (responsabilité individuelle) qu’on décide d’associer ou non au destin et à une décision de Dieu (épreuve, sacrifice de soi).  Le médecin, de la médecine occidentale, est tout désigné pour soigner la maladi bon dié.

Le sidéen qui est catholique peut, selon ses liens avec le vaudou et la pensée magique, envisager sa maladie comme une maladi diab.  On attribue toujours cette catégorie de maladie à l’action agressive de “l’Autre” qui peut être un conjoint jaloux, un ami, un cousin, un voisin envieux, un membre ambitieux de la famille ou du cercle d’amis qui a vendu son âme au diable.  Les “soi-disant malfaiteurs” transmettent la maladi diab par des procédés magiques dont le kout mo (coup de mort).  Ce procédé magique nomme le sida mo sida (mort sida). Le sorcier qui “envoie” une maladie mortelle à une personne n’invente pas cette maladie.  Il envoie toujours une maladie qui existe déjà.  Par exemple, le loup-garou, en Haïti, fait mourir des enfants en leur donnant la diarrhée, le tétanos, etc.  Une maladi diab est une maladie dont on s’occupe en famile avec le houngan (prêtre vaudou), ce qui permet au sidéen de trouver à l’intérieur de sa famille un réseau de soutien et de complicité tant affectif que spirituel.

Malgré l’absence d’une échelle de lieu de contrôle externe pour l’enquête en Haïti et pour celle de Montréal, nous pouvons maglré tout faire certains commentaires sur les réponses que nous avons obtenues des répondants au sujet d’une question où on leur demandait si le fait de leur jeter un sort pouvait entraîner la maladie.  L’enquête en Haïti a montré que près de 37% de la population étudiée croyait possible que l’infection ait pu être transmise par un sort.  Cette proportion ne s’élève qu’à 7,6% (25/329) chez les répondants de la troisième phase de notre enquête.  Le nombre assez important de répondants nés au Québec, dans cette phase, explique peut-être en partie cette différence, puisqu’ils sont probablement plus nombreux à rompre avec la mentalité magico-religieuse dans la culture haïtienne.  Par ailleurs, cette rupture est peut-être plus présente dans l’ensemble de la population, à la phase III, qui est issue d’une immigration plus ancienne au Québec, que dans les populations des phases I et II.

Par ailleurs, il est intéressant de constater que le croyant catholique, protestant ou vaudouisant envisage la prière - qui détient un certain pouvoir de guérison - , soit comme une alternative, soit comme un élément complémentaire au traitement médical.  Dans la culture haïtienne, la prière est un exercice spirituel généralement collectif qu’on utilise dans les situations de maladie. La prière est une cure collective de guérison; elle est en ce sens un bien symbolique qui est partagé, ce qui constitue une trame affective et spirituelle de soutien pour le malade.

En plus de trouver dans la communauté des alternatives de guérison.  Les Haïtiens reconnaissent une grande valeur thérapeutique aux plantes médicinales.  Il existe en Haïti ainsi que dans la communauté haïtienne de Montréal, des spécialistes de ces plantes, qui sont les doktè feilles (littéralement: “docteur-feuilles”) et qui sont parfois prêtres vaudou.  De surcroît, la science des plantes est une science que de nombreuses familles possèdent différemment, mais toujours avec fierté.  Est-ce que le sidéen haÏtien préfère ces plantes aux médicaments? Est-ce qu’il les combine et, si oui, comment?  Ces interrogations mériteraient qu’on s’y attarde, afin de mieux saisir les choix de traitement que font les sidéens dans la communauté.

Les stratégies de guérison dans la culture haÏtienne sont fort complexes, car elles sont très diverses et peuvent même parfois se superposer les unes aux autres.  Les interventions thérapeutiques du houngan, du pasteur protestant ou du prêtre catholique accordent une place importante à l’efficacité symbolique et à la complicité du groupe.  Dès lors, les attitudes qui menaient à l’exclusion sociale engendrée par l’intolérance du milieu, face au sida, se nuancent et s’adoucissent à l’intérieur des rites de guérison.  En plus de trouver un sens à sa maladie, le sidéen, à travers les rites religieux, découvre la solidarité de ses pairs qu’ils auraient trouvée difficilement hors de ce milieu.

Il ne faut pas toutefois sous-estimer les effets du discours religieux de type fondamentaliste ou intégriste qui renforcent les interdits sexuels, l’intolérance à l’égard des sidéens et la répression dans l’éducation sexuelle des enfants.  Le fondamentalisme et l’intégrisme religieux développent leurs propres règles de prévention du sida qui sont fondées sur la peur et la soumission, règles qui sont évidemment en contradiction avec les principes nationaux et internationaux qui fixent les objectifs de la prévention sur le sida, soit la responsabilité individuelle et collective, l’adoption du condom et la formulation d’une éthique personnelle qui dépasse les notions religieuses de bien et de mal.

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