mardi 20 juillet 2010

Intervenir auprès d'adolescents perturbés - 2e partie

PHILOSOPHIE D’INTERVENTION

Nous avions au départ, notre vécu d’homme et de femme, tout un arsenal de questions-réponses acquis au fil des ans. Nous étions conscients de la distance qui nous séparait des adolescents. Signant, la différence entre les générations, cette distance est nécessaire à l’adolescent pour qu’il puisse se situer et choisir les modèles auxquels il pourra s’identifier.

Nous ne sommes pas spécialistes des questions sexuelles de l’adolescence. Nous avons choisi un tout autre chemin. Nous avons voulu créer un lieu où l’adolescent pourrait exprimer son questionnement par rapport à sa sexualité. Nous ne voulions pas faire écran, mais plutôt être à l’écoute. Ainsi les adolescents furent tout au cours de cette expérience les guides, ceux qui détenaient le fil conducteur; notre mandat était d’écouter, de comprendre, d’élucider avec eux. Tâche qui n’est pas de tout repos, car confrontés au vécu sexuel des adolescents nous étions parfois désarçonnés. L’intensité des conflits pulsionnels à cet âge ainsi que le flou relié à l’espace que l’adolescent occupe, ébranlaient nos anciens mécanismes de défense (refoulement de l’intensité de notre propre vécu sexuel); nous avons dû faire notre processus dynamique de connaissance au sens étymologique du terme c’est-à-dire une démarche de co-naissance.

L’adolescence interroge tant les problèmes d’identité sexuelle que ceux plus vastes de l’identité, soit précisément la capacité d’autonomie, c’est-à-dire être capable de s’ « individuer » et de s’« auto-nommer ».

Notre groupe s’adressant à des jeunes qui en plus de traverser l’adolescence vivent en même temps d’importants problèmes psychiatriques, il nous faut ici nous arrêter à cette autre dimension de leur vécu.

L’adolescent malade est dans un « no man’s land ». Souvent son corps ne lui appartient pas. À cause des investissements massifs reliés aux désirs projetés sur lui, il dénie souvent « sa propre existence ». Il devient pubère sans qu’il le veuille et/ou qu’il y soit prêt psychologiquement. D’une certaine manière il est agressé par la physiologie. Ce hiatus s’inscrit dans son corps, ce corps nouveau et souvent étranger qui devient alors le lieu de projection d’importantes peurs, d’angoisses massives et d’un vécu inquiétant. Combien de fois, n’avons-nous pas été confrontés à des équations telles : « C’est lorsque j’ai commencé à être menstruée, que je suis devenue malade; j’ai donc essayé d’arrêter cela ». « Devenir grande c’est ne plus être le bébé de ma mère ». Il s’ensuit alors dans le réel, au moment des menstruations, toute une série de comportements pour le moins bizarres comme de ne pas s’assurer un confort minimum par le port d’une serviette sanitaire mais plutôt de boucher l’ouverture du vagin avec du papier de toilette. C’est également cette autre fille, mal à l’aise dans le groupe d’adolescents, ne pouvant s’exprimer, qui reproche aux garçons de parler de sexualité en présence des filles. C’est plus tard que nous comprendrons le pourquoi de ce malaise, lorsqu’elle dévoilera un « secret de famille bien gardé », soit des jeux sexuels avec des frères aînés; depuis, la présence des garçons gêne car tous les garçons sont pareils. En sourdine mais assez fort pour que nous entendions, des questions superficielles autour des changements biologiques et physiologiques, des questions qui passent par les stéréotypes : les filles parlent de leur désir d’être attirante et veulent plaire : nous remarquons tout un déplacement des préoccupations autour du sexe sur les parties visibles du corps par exemple, la figure, la taille; de la même façon les garçons se mesurent et comparent leur force. Très peu de questions sur leur anatomie, comme si savoir mieux pouvait introduire la notion de pouvoir faire, d’où une inquiétude sur leur capacité à être adéquat et compétent.

Il nous semblait que les préoccupations des adolescents se situaient autour de la relation à ce corps, et à partir de là la question était : « comment être en relation à soi et à l’autre, compte tenu de tous ces changements et bouleversements ». Il s’agissait également d’aborder le sens personnel donné à ces changements, sens souvent « caché et gênant » car porteur de significations agressantes et interdites. Dire est une chose…bien plus difficile encore, trouver une écoute rassurante pouvant signifier qu’il est possible de connaître et d’habiter ce corps et de s’en faire un allié.


* à suivre *

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