lundi 26 septembre 2011

VIOLENCE FAMILIALE 51e partie

Ce que cache mon langage mon corps le dit

- R. Barthes

Laisser surgir une émotion
À ce stade, la cliente commence à expérimenter elle-même de nouvelles émotions. Pour la préparer à franchir une nouvelle étape, vous reprenez avec elle, au cours des dernières rencontres, les étapes précédentes. Il est important de consolider les acquisitions que vous et elle avez observées. En se remémorant ce qu’elle a pu faire, la cliente nourrit sa confiance en elle et prend conscience des nouvelles aptitudes qu’elle a développées. Ensemble, vous récapitulez les moyens dont elle dispose pour vivre des émotions difficiles – respiration abdominale, images mentales, laisser parler son cœur, écrire ce qu’elle ressent, crier.

Au cours de la semaine, sa tâche consistera à s’isoler pour vivre un sentiment important qu’elle ne pouvait exprimer devant l’agresseur. Elle reprendra, seule, les divers moyens et techniques qu’elle a expérimentés en entrevue pour laisser surgir cette émotion. Elle commencera par l’exercice de la respiration abdominale et laisser surgir progressivement des images de l’événement auquel est reliée l’émotion retenue. Elle restera à l’écoute d’elle-même pour accepter ces images et vivre les émotions qui s’y rattachent. Elle sait qu’elle peut les ressentir sans danger. Elle a déjà expérimenté ce processus en entrevue. Elle devra se rappeler qu’elle a la capacité d’affronter ses sentiments.

Par la suite, après avoir laissé surgir son émotion, elle pourra la transcrire. Cette étape consolide et termine la libération du sentiment. Les observations qu’elle aura notées, à la suite de sa tâche, lui permettront de commenter les résultats de cet exercice lors de l’entrevue. Vous soulignerez les résultats de cet exercice lors de l’entrevue. Vous soulignerez le chemin accompli et la reprise de pouvoir sur elle-même qu’elle vient de réaliser.

Les tâches varient selon le rythme de l’évolution de la cliente. Le choix se fait en accord avec elle. La femme battue détermine bien souvent la tâche qu’elle devra faire. Toutefois, pour éviter que la tâche soit une source d’échec, le défi qu’elle représente doit être progressif.

Les différentes techniques, exercices et tâches que nous venons de voir servent donc de moyens pour aider la femme battue à récupérer le droit à ses émotions. Cette étape est importante pour qu’elle puisse développer une estime d’elle-même. L’estime de soi implique nécessairement qu’une personne s’accorde de la valeur.

Reconnaître ses capacités
Pour retrouver l’estime de soi, la femme violentée doit redécouvrir ses capacités personnelles et croire en ses compétences. Elle doit briser l’image négative qu’elle a d’elle-même. L’intervention tiendra compte de cette nécessité.

En plus de refuser les discours de dénigrement qu’elle tient sur elle-même, il est parfois pertinent d’analyser, avec la cliente, un de ses modes de fonctionnement qui contribue à maintenir cette perception négative d’elle-même. Par exemple, une femme battue disait, parlant d’elle : « Il est normal que je gère bien le budget familial. C’est normal pour une femme d’avoir des talents culinaires. C’est normal de comprendre les règles fiscales pour mon travail. » Elle considérait ses limites personnelles comme des défauts et toutes ses aptitudes, comme des qualités qu’il est normal d’avoir. Lorsqu’on lui demandait si toutes les femmes avaient ces compétences-là, la cliente répondait négativement. Toutefois, elle ne percevait pas ces compétences, qu’elle possédait, comme étant chez elle, des qualités personnelles. Par contre, elle considérait ses limites comme des défauts. « Je ne suis pas une bonne mère car je ne peux offrir un camp de vacances à mes enfants. Je ne suis pas efficace à mon travail, je ne parviens pas à faire toutes les analyses qui me sont demandées. » En prenant conscience de sa façon de fonctionner, la cliente a reconnu l’impasse dans laquelle elle se trouvait : peu importe ce qu’elle faisait, elle était nécessairement une incapable.

Pour cette cliente, cette prise de conscience fut à l’origine d’un changement important. Elle cessa de minimiser la valeur de ses réussites et comprit qu’elles étaient les limites réelles de ses actions (conditions objectives : financières, temporelles, sociales).

La fin du comportement de victimisation s’avère donc essentielle pour que la cliente parvienne à reconnaître ses capacités. Voyons quelques moyens susceptibles de l’aider à redécouvrir ses compétences.


Des techniques d’intervention
Utiliser un photo-langage
La technique du photo-langage, comme nous l’avons déjà dit, permet de travailler l’estime de soi et peut également être utilisée pour aider la cliente à identifier ses capacités. Ici, les photos doivent représenter uniquement des femmes, dans différents rôles et situations. La cliente peut ainsi facilement s’identifier aux personnages et à leurs réactions.

Vous demandez à la femme battue de choisir et de rassembler, dans un premier temps, des photos qui la personnifient avant son union conjugale. Puis, dans un deuxième temps, de sélectionner des images la représentant actuellement. La première série de photos sert de point de départ à une réflexion que vous guiderez avec quelques questions. Chaque image fait l’objet d’une attention particulière. Que représente pour elle cette photo? Que lui inspire-t-elle? De quelle capacité cette femme de la photo fait-elle preuve? Que semble-t-elle approuver? Que fait-elle? Que veut-elle pour son avenir? Etc. Par ses réponses et ses commentaires, la femme battue dégage l’image qu’elle avait d’elle-même avant l’expérience de la violence conjugale.

Dans la deuxième série de photos sur la femme qu’elle est présentement, celle de la photo de la statue cassée revient souvent. Pour un grand nombre de clientes, cette photo illustre la position de victime et le peu d’estime qu’on lui accorde et qu’elle se donne. La perte de l’estime de soi est évidente dans plusieurs choix de photos. Quand on aide la cliente à demeurer centrée sur ses réflexions et ses découvertes, elle fait un portrait assez juste de sa situation personnelle.

Par la suite, elle essaie de voir comment la femme qu’elle est maintenant peut tirer profit des compétences qu’elle avait avant l’union conjugale. L’échange, au cours de la discussion, porte également sur ses aptitudes qui existent toujours, qui ne peuvent se perdre, qui ne sont plus exploitées et dont elle pourrait profiter de nouveau. Elle peut identifier les capacités qui lui ont permis de survivre aux deux femmes : celle d’hier et celle d’aujourd’hui. Que peut-elle faire pour se rapprocher davantage de la femme libre et confiante, révélée par la première série de photos? Comment peut-elle développer sa confiance en elle? De quelle façon peut-elle commencer à s’aimer? Quelles sont les forces personnelles qu’elle peut actuellement exploiter et raviver?

À partir de là, il faut identifier les séquelles de la violence qui altèrent l’estime de soi. Vous universalisez la perte de l’estime de soi en montrant qu’il s’agit d’une des conséquences du vécu de violence conjugale, non pas d’un manque d’habileté. Vous rappellerez l’isolement dans lequel se trouve la victime et le pouvoir destructeur du contexte affectif résultant d’une relation avec un partenaire violent. Un tel climat mine la confiance en soi. Les compétences individuelles demeurent cependant et peuvent de nouveau être mises à profit.

Apprendre à se donner des permissions
La victime vit dans la contrainte. Cela affecte le moindre de ses gestes. Elle évolue donc dans un périmètre restreint et est souvent assiégée par l’agresseur. Son entourage immédiat ne l’autorise pas à penser à elle-même. Pour développer un sentiment de confiance en ses compétences, elle doit réapprendre à réduire ses propres interdits.

L’une des permissions les plus difficiles à s’accorder est le droit à l’erreur. De façon générale, dans la société, les femmes éprouvent un fort sentiment d’échec. Comme il leur est impossible de remplir toutes les fonctions qu’on exige d’elles – mère, amante, épouse, travailleuse, etc - , elles vivent un sentiment d’échec permanent. Cette dimension sociale de la condition des femmes est abordée et discutée avec la cliente, afin qu’elle se départisse des responsabilités qui ne lui reviennent pas. Cette alliance avec elle l’aide à modifier sa notion d’échec.

La peur de commettre une erreur maintient la cliente dans sa passivité et contribue à nourrir son sentiment d’incompétence. L’agresseur contrôle ainsi totalement sa victime. Cette analyse fait partie des informations qu’il faut partager avec la cliente pour qu’elle accepte de prendre des risques.

Lors des rencontres, vous proposez à la cliente d’expérimenter, par des jeux de rôles, diverses situations où elle redécouvrira les capacités qu’elle possède. Vous la renforcerez dans ses jugements et relèverez les habiletés dont elle fait preuve dans les exercices. Le contexte des entrevues peut être pour elle, un cadre sécurisant pour expérimenter ses capacités. Les tâches généraliseront, dans son milieu de vie, ses nouvelles perceptions et les comportements qui en découlent.

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