dimanche 9 octobre 2011

VIOLENCE FAMILIALE 57e partie

La revue de Presse nous montre clairement que la souffrance humaine a tous les visages, celui de la détresse physique, mais aussi celui de la détresse psychologique. Homme et femme modifient les émotions, souvent à l'origine du comportement qu'ils souhaitent transformer. Cette prise de conscience dévoile les mécanismes de défense mis en place pour anesthésier, fuir, éviter. Le sujet comprend comment ces mécanismes sont eux-mêmes à l'origine des manques de confiance, culpabilités, agressivités qui dégradent ses relations, ses motivations, se répercutent sur son état de santé mentale et l'incitent à reproduire sans cesse le même cycle. Les deux doivent créer leur liberté, créer la liberté en dehors du manque, remplacer la compensation par la communication, s'affranchir des réflexes compensatoires issus de l'enfance et intégrer les changements au quotidien et dans la réalité, apprendre le soutien, la confiance.



"L'homme connaît le monde non point par ce qu'il y dérobe, mais par ce qu'il
y ajoute."

- Paul Claudel

La littérature nous démontre que la rupture avec le partenaire violent survient, suite à l’installation d’un rapport de force, basé sur la peur. L’enjeu pour le client est d’admettre cette situation qu’il a créée et de concevoir à partir de maintenant une disponibilité nouvelle à l’établissement de relations égales, exemples de toute domination.

Crise Adulte
Confrontée à des adultes, qui pour la plupart ont subi des sévices ou crises importantes dans leur enfance, l’expertise actuelle nous indique que la majorité de notre clientèle n’a pas résolu cette première phase importante de la vie d’adulte *le déracinement*. Nous sommes d’avis comme plusieurs spécialistes en violence conjugale que le passé de l’individu ne justifiera jamais quelques formes de violence que ce soit. Toutefois, nous sommes enclins à penser que le travail thérapeutique à exercer doit se faire à partir de la non-résolution de cette première étape cruciale « d’une vie à deux ».

Par « déracinement », nous faisons allusion aux travaux de Gail Sheeny « Passages » qui, poursuivant les travaux d’Érikson, mais cette fois, sur les étapes du développement de l’adulte qu’elle qualifie de crise, identifie les 5 phases majeures de tout adulte qui, si bien résolues deviennent des passages.

Cette période (déracinement 18-22 ans) correspond au moment où l’individu quitte ses parents et commence à vivre son indépendance financière, émotive et sociale. Le jeune adulte vit alors de nombreuses craintes et inaptitudes mais garde souvent une façade de confiance en prenant ouvertement des risques. Il s’agit d’une crise d’identité importante et ceux qui ne réussissent pas à quitter leur famille d’origine pour se retrouver comme individus indépendants, devront, de toute façon, le faire plus tard. Comme Érikson, Sheeny affirme que chaque crise doit être résolue. Si elle est évitée, elle surgira plus tard à un moment où les décisions seront plus difficiles à prendre.

Se référant aux grandes caractéristiques ou profil du conjoint violent (voir annexe I), nous ne pouvons faire abstraction de cette dynamique mal résolue. C’est pourquoi, nous sommes en mesure de faire un parallèle avec cette étape cruciale du déracinement et ce conflit initial qui sont souvent répertoriés en violence conjugale dès la première relation de couple. Ce schème de référence induira de nombreuses interventions cliniques lors de la période de la prise de conscience pour l’homme et de son fonctionnement en relation de couple.

EN AIDANT UN HOMME VIOLENT IL FAUT AVOIR DES OBJECTIFS SPÉCIFIQUES
a) Responsabiliser l’homme agresseur sur ses gestes, attitudes et propos en cessant toutes formes de violence grâce à son implication rapide et soutenue durant toute la durée de la thérapie.
b) Lui assurer un encadrement de support clinique afin de le centrer constamment sur sa personne et non plus sur sa conjointe et/ou ses enfants (re : cycle, escalade, prise de conscience de sa violence vers la découverte des signes précurseurs et éventuellement de nouveaux moyens.)
c) Voir à sensibiliser, stabiliser et maintenir des comportements acceptables à l’aide d’un milieu thérapeutique conforme aux besoins appréhendés : (ex : groupe thérapie, counselling individuel, structure de confidences et de dialogues, visites supervisées avec conjointe et/ou enfant si jugé(e) pertinent).
d) Favoriser et supporter chez la personne un cheminement qui l’amènera à prendre ses propres décisions pour l’après-thérapie.
e) L’aider à « lâcher prise » et arrêter le contrôle sur l’autre en se responsabilisant et en « reconquérant » sa propre trajectoire de vie.
f) L’intégrer dans un contexte de « milieu-thérapie » afin de lui permettre de transiger avec d’autres, portant le même problème, et l’inciter à être lui aussi aidant pour les autres participants.
g) Tenter de prévenir d’autres situations de crise dramatique et éviter des récidives malheureuses durant cette période cruciale (dénonciation ou suite à l’arrestation).
h) Profiter de ce temps d’arrêt pour l’éduquer, le sensibiliser sur l’escalade d’agirs violents et le conscientiser sur l’exercice abusif du contrôle de l’autre et l’utilisation des enfants (réflexes souvent agis même si non prémédités.)
i) Expérimenter une mesure novatrice en violence conjugale, axée sur l’intervention de crise auprès du conjoint violent dans un contexte de thérapie intensive et de milieu-thérapie.
j) Réaliser une recherche évaluative portant sur l’efficacité du programme et sur l’impact d’une telle mesure.

Notre approche d’intervention auprès des conjoints violents s’appuie sur les principaux éléments suivants :
a) La violence conjugale (psychologique, économique, verbale, physique, sexuelle) se retrouve dans toutes les classes sociales et économiques. Cette violence est maintenue et favorisée par un code social et économique, par des valeurs et par des attitudes patriarcales et sexistes. C’est à partir de ces éléments que l’agresseur exerce son pouvoir et justifie son contrôle. D’autre part, cette réalité psychosociale tend à maintenir la femme violentée sous le joug de son conjoint. La violence conjugale est un problème social, mais c’est surtout une responsabilité individuelle à assumer pour chaque personne.
b) La violence conjugale est inacceptable et criminelle
c) La violence conjugale n’est pas une maladie
d) L’homme choisit la violence parmi d’autres moyens ou options qui lui sont ou pourraient lui être accessibles, et ce, dans le but de contrôler et de dominer sa conjointe. C’est un mode appris de relation et de résolution de problème par le contrôle de l’autre. Alors on ne peut parler de « perte de contrôle ».
e) L’homme violent est une personne responsable. Il est donc responsable de ses gestes et de ses comportements violents, de même que du changement de ses comportements, valeurs et attitudes. Toutes les stratégies d’intervention doivent être conséquentes avec le principe de responsabilité et favoriser l’autonomie du client.

Le monde de la perception
Tout thérapeute de groupe est en mesure de constater à quel point « l’homme violent se raconte des histoires et vient qu’à y croire. » En effet, nous observons que l’individu s’est construit une série de scénarios (convictions) qui lui permet de se déculpabiliser, suite au passage à l’acte destructeur. Afin de bien comprendre cette dimension majeure, observons ce mécanisme à partir d’un exemple précis :

« Robinson en est à sa 2e présence en thérapie de groupe. Appelé à expliquer comment il en est arrivé à frapper sa conjointe, il exprimera au groupe : « Je suis arrivé en retard à la maison, j’ai été débordé au travail. Je n’ai pas appelé mon épouse parce que je sais qu’elle aurait chialé, c’aurait été toute une histoire. Alors, j’entre à la maison, elle est déjà pas de bonne humeur, la petite braille, le souper n’est pas prêt. Alors, le ton monte, on se chicane verbalement, je décide de retourner chez ma sœur. Elle court après moi jusqu’en bas de l’escalier, m’agrippe par les vêtements et là je lui donne un gifle. C’est elle qui a couru après moi, elle est venue me chercher en bas de l’escaler. Il dira plus tard, « je sais que je suis responsable de l’avoir frappée, mais elle a couru après. »

Sans tomber dans une analyse clinique détaillée, pour ce qui nous intéresse ici, analysons quelques éléments importants.

Robinson se convainc (sa conviction devient une attitude) de son retard et essaie de nous convaincre que sa perception est juste, et qu’il ne peut se permettre d’aviser son épouse de son retard (cela devient le comportement qui suit l’attitude). Il construit un nouveau scénario à partir d’expériences passées non-réussies et blâme ainsi sa partenaire.

Nous pouvons aussi faire l’hypothèse qu’il a omis quelques détails quand aux événements qui l’ont amené à gifler son épouse. Toutefois, ce qui importe est de démontrer qu’il s’est forgé une histoire avant d’entrer à la maison, qu’il a été frustré d’entendre la petite « brailler » et de constater que le souper n’était pas prêt. La réalité est qu’il a giflé son épouse. Sa perception demeure qu’elle est venue au-devant de lui pour se faire gifler, car dira-t-il, plus tard : « Elle le savait que je me défendrais. »

Cette dimension omniprésente chez les hommes agresseurs provient de ce que l’on appelle la « dissonance cognitive ». L’homme est incapable de répondre à ses attentes et demeure démuni, agissant des comportements impulsifs et non-réfléchis. Il n’a en fait jamais résolu et équilibre nécessaire afin d’affronter tous les éléments de la réalité.

Évidemment, cette dissonance cognitive n’est pas exclusive à l’homme agresseur. L’humain a souvent tendance à interpréter ou biaiser la réalité. L’enjeu, quelqu’il soit, est de tirer davantage de cette interprétation. « Nous ne voyons pas la réalité ».

Tout cela nous amène à envisager une étape importante ultérieure en thérapie : la communication. Cependant, avant d’aborder cette phase « classique », nos devons absolument faire prendre conscience à l’homme agresseur, qu’en plus de faire une fausse lecture du réel, il s’est façonné une image personnelle de sa propre réalité. C’est ce qui explique pour l’homme agresseur, qu’il ne sera jamais violent avant qu’on lui dise, avant qu’on l’arrête, avant qu’il soit menacé, avant qu’il soit en réel déséquilibre.

Enfin, nous savons que la communication sera impossible à réaliser si les parties ne relèvent pas leurs perceptions respectives et ne sont pas assez flexibles pour s’adapter en vue de partager une réalité plus riche. La communication on le sait, demeurera une parodie tant que l’homme agresseur se contentera d’interpréter, de combattre les opinions de l’autre et de « lire entre les lignes » sans véritablement confronter sa lecture à celle de l’autre, (conjointe ou autres personnes).

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