lundi 23 janvier 2012

LA DÉTRESSE DES HOMMES - 33e partie


ANGOISSE

Quand on vit avec un individu en détresse, on s’aperçoit, après un certain temps, qu’il n’est pas capable de se sentir membre du groupe qui le fait vivre et même de la famille où il est né.  L’inquiétude, l’angoisse de se sentir raillé, plaisanté, ridiculisé, outragé, humilié.....l’incline à croire qu’il est simplement toléré dans son milieu mais jamais pleinement agrée.  Dans sa famille, il s’imagine qu’on lui  préfère un frère ou une soeur, parce qu’il (ou parce qu’elle) doit être plus intelligent, plus cultivé que lui, dans la société; il s’imagine qu’on le tolère parce que l’on ne peut pas faire autrement ou qu’on le garde par pitié.
Jamais on ne lui a fait comprendre, dès son enfance, que tout être humain qui apporte à la société sa bonne volonté et sa solidarité est toujours et naturellement admis dans cette société, et avec ses défauts.  Si un des membres de la famille ou de la société est difficile de caractère, prétentieux, agressif, indélicat, on se contentera de déployer ses déficiences mais elles ne seront pas passibles d’exclusion. Le seul fait de naître indique déjà normalement qu’un groupe réclame une nouvelle présence et qu’il a besoin de cette présence pour bien fonctionner.  Tout enfant qui naît n’est pas une simple admission mais un membre nécessaire à la société, à laquelle il apportera plus tard sa collaboration pour engendrer de nouveaux progrès.  L’homme en détresse n’a pas reçu dans sa vérité la leçon de simple humanité qui lui était due.  On ne lui a pas donné, psychiquement et moralement, son “passeport pour tous pays” qui lui est absolument nécesaire pour vivre dans le monde.
Il ne sait pas, en profondeur, qu’il fait partie de droit à ce monde.  L’homme en détresse peut être parfois lent à concevoir les dénigrements, les malveillances, et toujours inaptes à y répondre.
Il est tellement tendu par l’attente continue d’une moquerie qu’il peut être tardif à comprendre. Mais seul avec lui-même, il reprendra la conversation entendue précédemment, l’épluchera, la décortiquera soigneusement, scrupuleusement, et aboutira toujours à des conclusions pessimistes.  Il a été l’objet principal de la moquerie.
Dans une conversation, il ne cherchera jamais à briller, ne cherchera pas davantage un intérêt, ni un enseignement profitable, ni même un peu d’humour. (Il est trop semblable, à ses yeux, à la moquerie).  Tout son effort et sa curiosité tendent à découvrir les épines, même aux plus jolies roses.  Comme certains agressifs s’efforcent de détruire par n’importe quel moyen les actes les plus généreux et les sentiments les plus nobles.
L’homme en détresse porte une attention soutenue aux traits d’un visage, analyse les sourires, s’attarde sur une parole, un mot, qui lui semble recéler quelque attaque.  L’éclat rieur d’un regard peut l’exaspérer.  S’il était lui-même rieur l’instant précédent, il peut soudain se contracter, se replier comme un escargot au plus léger attouchement.  Il tient un objet de mécontentement et aucune explication amicale ne lui fera lâcher sa proie.  On retrouve ici le névrosé en général qui tient à jouir de sa névrose, à s’en complaire, comme un gourmand de l’objet de sa gourmandise.  Sa névrose est satisfaite, l’homme en détresse ne pouvait vivre longtemps dans la détente.  Il se sentait mal à l’aise, comme n’étant pas dans son élément. Une raillerie supposée lui apporte une espèce de volupté.

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