dimanche 29 janvier 2012

LA DÉTRESSE DES HOMMES - 36e partie


MISÈRE MORALE

Quand l’homme en détresse a une raison réelle et évidente de souffrir de l’attitude d’un autre à son regard, plutôt que de s’en formaliser, il adoptera le style “martyr” et tirera de cette évidence tout le plaisir masochisme qu’il peut en exploiter....Il a toujours l’air de dire : “même si vous m’avez fait un mal profond et durable, je vous ai depuis longtemps pardonné.”
Il joue à la grande âme, à l’héroïque. Il veut inconsciemment qu’on admire son indulgence, son calme, en même temps que son affront.  Il veut qu’on épilogue longtemps sur son exemple.
Ces résignés indulgents n’excluent cependant pas l’existence réelle de souffrance silencieuse mais sans ostentation qui n’est pas une souffrance masochiste dont l’auteur et l’animateur tirent un vrai plaisir.  La souffrance véritable est humble et cachée et épargne tous ceux qu’on aime.
Il y a d’autre cadeau à faire à ses amis que celui de l’étalage de ses misères morales et physiques.
L’homme en détresse est l’acteur de sa propre misère mais ne tient jamais compte de celle des autres.
Si la démonstration et l’ostentation de l’homme en détresse sont très souvent jouées sur le domaine physique, le sujet s’exhibe aussi beaucoup moralement.
Si sincères que soit le remords et la pénitence, si volontaire la souffrance, l’homme en détresse, ne peut se passer des spectateurs.  Le sujet, comme tout névrosé a besoin de se jouer la comédie, a besoin d’une certaine atmosphère théâtrale.  Ce qu’il n’a pu obtenir dans son enfance par des moyens normaux et légitimes, il tente de le récupérer, adulte, par des moyens détournés et non défendus.  L’acte théâtral permet tous les rôles et tous les attributs de ces rôles.
On remarque cette attitude masochiste chez certains groupes sociaux ou certains peuples auxquels l’histoire a infligé un passé et un présent malheureux, sclérosé, agressif, dans la vie de ces individus, l’idée d’être aimé et d’être puni se conjuguent ensemble et même au niveau religieux.
“qui aime bien châtie bien.” “Dieu aime les deshérités de la terre.”  Dieu envoie des épreuves spéciales à ceux qu’il préfère: “l’essence même de la souffrance et de ses rapports avec Dieu, est dénaturée, parce que le névrosé s’en fait toujours une idée infantile.  Même si le névrosé en général est un individu beaucoup plus préoccupé de lui-même que des autres, ce n’est pas qu’il sort systématiquement épris de lui-même.  Il exhibe par des moyens divers ses faiblesses, ses lacunes, son esclavage, envers un univers morbide, une impasse, une impossibilité de vivre comme tout le monde et au rythme du monde , il exhibe pour récupérer par ailleurs ce qui lui a manqué trop profondément et largement dans son enfance.  Il exhibe et il s’exhibe pour récupérer une sécurité qui lui a été distribuée si petitement.  L’homme en détresse, par le truchement de la souffrance physique ou morale, tente la même aventure.  Et il a besoin des autres, d’un public, pour se sentir à l’aise.  Il n’est pas foncièrement épris de sa personne, comme un narcissiste qui ne se préoccupe nullement de l’intérêt éventuel marqué par autrui, trop absorbé par son propre personnage.  Le sujet s’exhibe pour être remarqué et aimé.  Il a besoin des autres pour croire à une certaine consistance de sa personne, le narcissiste est entièrement absorbé par lui-même et n’a pas besoin des autres.  On peut dire que l’homme en détresse est un narcissique qui a mal tourné.
Cette façon de se montrer et de s’exhiber, même dans ce qu’il y a de plus douteux, montre et prouve quelque chose, car cette démonstration de soi-même est un facteur important de l’homme en détresse.  Mais en se démasquant aussi publiquement, il dissimule quelque chose d’autres.  C’est l’ambivalence de l’homme violent.
Il existe des hommes en détresse qui trouvent leur vie quotidienne trop douce, même si les désagrements ne les épargnent guère.  Si bien qu’ils finissent par s’exaspérer, leur névrose n’étant pas satisfaite, réclament un supplément de souffrance.  Ces sujets provoquent donc leur entourage, leurs compagnons de travail, leurs amis, jusqu’à ce qu’ils obtiennent privation, rejet, punition, abandon.  L’homme en détresse force tout le monde à le tourmenter, à l’humilier, à le punir, il agit de telle façon, il tourmente si agressivement, que personne ne peut garder patience.  Il supplie presque chacun de le traiter comme une évidence mineure, un être sans intérêt, le moindre bénéfice l’exaspère.
Ce type infantile se reconnaît également dans le domaine religieux : mettant en pratique le code de la charité chrétienne, nombre de résignés morbides s’acharnent à tendre la joue droite quand la joue gauche a été frappée, et ceci sans discernement, sans fierté, sans réflexion. Ils sont prêts à prendre sur leurs épaules le poids de tous les pêchés du monde, ils désirent ce fardeau, ce sacrifice les privant de toute amitié et de toute justice.

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