samedi 13 octobre 2012

LITTÉRATURE HAÏTIENNE - 17e partie


L’homme, son milieu social et sa conception poétique

L’Homme

Etzer Vilaire a vécu toute son exitence avec le sentiment d’être frustré.  Il était de santé délicate. Il n’a pas fait, selon ses rêves des études complètes dans les grands centres d’outre-mer, comme la plupart de ses contemporains et amis.  Il n’avait pas un physique sympathique et ne jouissait pas d’une bonne presse dans le monde féminin.  Il vécut dans un milieu social, corrompu, analphabète, divisé par la guerre civile et dirigé par des ombrageux.

Frustré de son droit à la santé, à la culture, à l’amour, à la liberté il a préféré les miroitements de l’idéal inacessibles aux mesquineries quotidiennes, aux bassesses morales.  Il a vécu en mystique, hanté par la certitude d’une vie parfaite dans l’au-delà.

Il a cultivé de grandes amitiés dans sa vie (Edmond Laforêt et Georges Sylvain par exemple), mais il se brouilla avec ses plus fidèles, non sans éclat, brandissant soit le sens de l’honneur, soit celui de sa supériorité intellectuelle, deux qualités qu’il cultivait avec un mélange rare d’humilité et d’orgueil, comme tout bon Jérémien.

Vilaire est avant tout un pessimiste. Comme tout homme profondément croyant, pour lui l’être humain et la création toute entière sont originalement marqués par le mal et jouent un jeu dont ils sont les perdants obligés.  Les personnages de ses poèmes ont toujours une fin tragique.  L’idée de la mort domine et son être et son oeuvre.

Il est un protestant militant et ne s’explique pas qu’on soit athée. Il manifeste un éclectisme religieux, se cherche à travers diverses confessions opposées tant sur le plan de l’éthique que sur celui des préceptes.  Il se convertit au protestantisme libéral, après la lecture des études d’Augustin Sabatier, fréquente les églises romaines et fait du spiritisme.  Ses écrits sont souvent traversés après un long cri d’espérance vers l’être suprême et une croyance sincère en la bonté divine”.

De son temps, il est l’un des écrivains les plus féconds de la littérature haïtienne.  Il a publié plus de 750 pages de vers, sans compter de nombreux discours, sermons, conférences, articles, critiques, contes et nouvelles.  Il aurait pu donner davantage et mieux s’il n’avait cessé de  publier tôt, aux environs de la cinquantaine.

Jugeant l’homme et l’oeuvre, dès 1912, Edmond Laforêt, constatera: “Ce qui parmi nous, distingue plus particulièrement M. Vilaire, c’est l’abondance de sa poésie qui a fermenté dans son coeur, qui alimente encore son esprit, c’est sa capacité de rêver dans un monde positif; c’est sa profession courageuse d’être artiste dans les rigueurs d’une existence prosaique, c’est enfin de prouver, au moyen de longs poèmes, la péréquation des facultés esthétiques du nègre et du blanc” (Haïti littéraire et scientifique, page 327, 7 juilet 1912).

Son milieu social

Vilaire vit au milieu “d’un peuple d’épicier” sans foi ni loi” comme il le fait dire dans l’un des Dix Hommes Noirs.  Un peuple en agonie. Il faut se rappeler l’atmosphère délètère de l’époque : la politique du sabre avait remplacé celle de l’esprit.  D’où cette attitude de démission, cette résonnance pessimiste qui caractérisent une bonne partie de l’oeuvre du barde.

Il est de Jérémie : un milieu traditionnellement bourré de préjugés sociaux stupides.  Et il en pâtit.  Il est de Jérémie : la ville des poètes par excellence.  Ville éminemment poétique et qui explique le climat.  Parlant de Jérémie, Edmond Laforêt dira : “L’air y est bleu et sa fraicheur dans l’âme qu’elle pénètre, dépose un miel de l’azur infiniment doux aux blessures sentimentales.  Un long printemps enveloppe l’année aux trois quarts, tel un peplum embaumé, tissu de fleurs, de verdure et de rosée....l’automne se fond dans l’été qui prolonge le printemps....Seul l’hiver est ennemi de l’équivoque et tranche dans la confusion....”

Et Monsieur Pradel Pompilus de conclure : “Quand Il (Vilaire) décrit l’hiver, ne nous hâtons pas de crier à l’évasion et de jeter : il n’y a pas d’hiver en Haïti, que vient-il nous parler de froid et de brouillard?  Il a connu l’hiver, l’hiver caraïbe.  Quand il esquisse un paysage vaporeux et indécis, ne lui cherchons pas de modèle en France.  Ce paysage, il l’a à peine imaginé, il l’a transposé.  Quand à la colère des vents et des eaux ou la plainte immense et confuse des vagues, elles emplissent tous les recueils d’Etzer Vilaire, ce sont elles qui inspirent au poète rythmes et symboles (Etzer Vilaire, Études critiques par P. Pompilus, imprimerie ONAAC. Port-au-Prince, 1969).

La littérature est avant tout l’expression d’une société.  Même quand Vilaire prône l’éclectisme, fait des déclarations sensationnelles qui ont tendance à méconnaître la valeur de notre littérature indigène, même quand il affirme que “nous sommes condamnés à une littérature d’imitation”, il ne peut rejeter de sa production l’emprise de son milieu physique et social, il écrit des textes qui reflètent l’état d’âme de sa génération.

Sa conception poétique

Très tôt, il se fait une conception assez originale de la langue et de la poésie française et part à la recherche d’une formule qui l’aiderait à atteindre avec la consécration de son talent, un public plus large que celui d’Haïti: le public français motivé aux environs de 1890-1910 par la collection des poètes français de l’étranger dirigée par Georges Barral.

Dès lors, comme il est dit dans l’introduction générale, il refuse d’écrire pour les amateurs d’exotisme.  Illuminé par sa foi chrétienne, il produit pour ceux que tourmentent le drame de la vie, les problèmes de la destinée et de l’âme.

Le poète ne se limite pas aux thèmes d’inspiration locale.  Il élargira son champs. Et puisque tout à été déjà dit, il pratiquera l’éclectisme.  Il prendra de toutes les écoles littéraires ce qu’elles ont de meilleur.  Il soignera sa forme, évitera facilités et négligences, car dit-il”... la langue française est quelque chose que je vénère et que je redoute; et rien ne me tourmente plus que l’insaisissable perfection, les décevances du rêve d’art à jamais inaccessible dans sa splendeur de beauté idéale”.

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