dimanche 14 octobre 2012

LITTÉRATURE HAÏTIENNE - 18e partie


ANALYSE D‘OEUVRE POÉTIQUE DE VILAIRE

L’oeuvre d’Etzer Vilaire est vaste.  Dans le cadre d’un cours, il suffit d’analyser les plus caractériques de ses recueils et à l’occasion de l’étude de ses principaux thèmes littéraires faire des incursions circonstanciées dans le reste de sa production.

Page d’amour (1901)
Quand Vilaire publie PAGE D’AMOUR en 1901, il a 29 ans.  Il est assez rompu au métier. Il ne tatonne pas comme un débutant, car il rime depuis l’âge de 14 ans.  Il y a déjà dans ce recueil “le souffle et le rythme de la grande poésie”.

C’est un long poème. Le journal d’un poète qui fixe le souvenir de sa liaison aec celle qu’il avait juré d’aimer jusqu’à la tombe.  Le journal débute le 30 janvier 1901 et s’achève le 15 février de la même année.

L’amour du poète est en lui comme un astre immortel. Inquiet, il se demande ce qu’il adviendra, si, jamais il perdait le coeur de la bien-aimée:

Mon âme ne peut plus se séparer de toi
Tout mourrait en mon coeur si tu m’étais ravie
Ainsi dans l’univers s’arrêterait la vie
Si les soleils atteints manquaient au ciel désert


Pourtant, cet amour si vivace a connu toutes les étapes : “souvenirs et regrets, espérances et désespoir, apaisement passagers, inquiétude de la destinée, hantise de la mort, aspiration à l’éternité....”.  Avant de s’approcher de Simone, le poète avait aimé.  Ce premier contact avec la femme avait fait de lui un malade, “un vestige souillé”:

Aux yeux désabusés du poète, l’ingénuité et la beauté de Simone étaient artifice.  Il a peur de la femme, mais veut aimer quand même.  Sa vie ne doit pas être une route déserte, un cimetière.  Il veut l’amour, la joie, le bonheur, et non l’ennui, le bouge, le silence éternel.  Mais, que faire?  Il croit :

...la femme inconstante et frivole
Comme une ombre qui tourne, un insecte qui vole...

Il se décide par caprice à faire la conquête de Simone.  Il est sur d’être aimé et de pouvoir lâcher prise quand le coeur lui en dit, il se dévoile, Simone le récuse : elle aime un autre.  Et voici le poète pris à son propre piège.  Son orgueil d’homme et la jalousie aidant, il finit par aimer follement Simone et ne peut se résigner à vivre sans elle:

Il faut le dire enfin, l’amant
Avait en soi tué le railleur, le sceptique
Et j’entendais monter l’innombrable cantique
De mon coeur plein de toi....

L’âme du poète est agenouillée dans l’extase. Il ne vit, ne respire que par l’être aimé.  Le morceau où il confie à la nuit son amour est l’un des plus beaux poèmes d’amour de notre littérature.

Oui, j’aime maintenant, j’aime! rêve inoui!
Je le sens, et j’en souffre et j’en suis ébloui.
J’aime!....ô chose nouvelle! ô chose solennelle!
Tout mon être est un coeur, toute mon âme une aile....

L’amour du poète passe par toutes les obsessions: dégoût, espoir, jalousie, haine, indifférence.  Il espère enfin voir Simone répudier son amant qui est un débauché.  Elle rompt vraiment avec ce dernier mais refuse de répondre à la flamme du poète.  Vilaire se décourage totalement.  Pense même au suicide. Il revient à la charge.  Se cherche des raisons, de croire et d’espérer encore :

....la fin d’un amour est toujours un regret 
Et le commencement, un vertige secret.

Sa peine lui inspire de belles strophes où Simone est parée de toutes les beautés et de toutes les séductions : son rire est franc et rose comme une aurore, elle naquit pour aimer comme un rosier d’Avril pour embaumer, elle est une source fraiche où se mire un éternel été.

Quand, après un long temps d’abstention, il la revit, il feint de ne plus l’aimer. Mais, sa voix, ses yeux, ses gestes le trahissent. La présence de l’être aimé avait sur lui “le radieux effet d’un lever de soleil dans un pays de flamme”, elle l’illuminait.  Enfin, un soir qu’elle était radieuse et belle, il risqua:
Si tu voulais me plaire, oh! c’est toujours ainsi
Que tu te montrerais!  Mais, tu n’as point soucis
D’entendre les désire d’un triste coeur, lui dis-je
  • Si tu te trompais, fit-elle
        J’eus le vertige
  • Tu m’aimes donc?
        Elle eut un frisson et dit : Oui
Tout mon être trembla d’un bonheur inoui

Le bonheur rêvé convoité se matérialise.  Le poète est enfin heureux.  Sa félicité sera de courte durée.  Malgré lui, malgré elle, ils doivent se dire adieu.  Le poète cesse de maudire le sort qui le poursuit.  Il retrouve sa foi chrétienne qui le console de sa détresse.  Deux deux amants peuvent continuer à glaner des douleurs pour leur couronne éternelle.  Confiants, ils peuvent désenlacer leurs mains. Dans l’éternité promise à tous les hommes de bonne volonté, ils se retrouveront.  Mais, lui, le poète n’oubliera jamais les profonds regards de jais de Simone qu’il désire et qu’il perd:

Tu ne sauras ce qui l’ordonne:
Mais il faut nous dire adieu
Adieu donc!  Comme ce mot sonne
Triste! Quel glas funèbre, ô Dieu!

Si tu voyais comme je pleure!
Adieu, sans un baiser;
Adieu!.... Je n’attends plus que l’heure
Où l’on cesse d’agoniser...

Commentaires

Pages d’amour contient 17 chants.  Seul le dernier porte un titre ADIEU DE L’AMANT.  Il y a nombre de vers faciles dans ce premier recueil de Vilaire.  Poète de l’amour, il fait penser à Durand.  Mais soulignons immédiatement combien leur conception diffère.  Durand est épicurien. Il voit dans la femme, d’abord la chair et s’attache surtout à ses grandes beautés physiques.  L’amour est spiritualisé chez Vilaire.  Ce qu’il recherche chez l’être aimé, ce sont d’abord des qualités de coeur.

Avec cette première publication, Vilaire a écrit un émouvant poème d’amour qui lui permet déjà de poser le problème de l’homme. Il n’est pas fait pour le bonheur.  La souffrance est son lot.  Il ne connaîtra la félicité que dans l’éternité.  Mais, il est condamné à rechercher le bonheur dans la poursuite de l’amour.  Quand il s’en abstient, des circonstances imprévues l’y poussent.

LE FLIBUSTIER

Comme Page d’Amour, Le Flibustier fait partie du tome I des Poésies Complètes. Il a été publié pour la première fois en 1903.  C’est un roman de 1749 vers, divisé en trois chants.

Le Misanthrope argan est un homme étrange, rude, fatal.  Un esprit singulier.  Il était fort éloigné de l’ange, nous dit Vilaire, tout voisin du démon.  Orphelin et riche, il n’a connu ni misère, ni bonheur.

Il n’avait point d’ami : l’homme hait ce qu’il craint
Il portait le renom d’un frondeur sophistiqué,
Méprisant peuple, roi, prête, amour, politique.
Ses mains étaient de feu, sa poitrine d’airin
Son coeur le diamant le plus dur de la terre.
Toute sa vie offrait un douloureux mystère.

Cet homme triste niait le progrès. Cet orgueilleux considérait le monde comme un spectacle odieux.  Il affirmait que “rien n’est rien”:  Dieu seul est.  Mais que sait-on de Dieu?  Il ne s’ouvrait jamais au souffle inspiré des saintes écritures. Il vivait depuis peu à Paris, en solitaire, avec un vieux Domestique fidèle à son maître, traité aux autres, louche et infirme.

Argan n’était pas aimé.  Le mystère planait sur son passé et sa fortune.  On se disait que loin de sa patrie, il avait fait de la piraterie. Un soir, alors qu’il se promenait dans une ruelle déserte de Paris, il fut assailli par des hommes masqués.  Brave, Argan se défendit et mit en déroute les bandits, mais resta blessé sur le pavé.

Lorsque, quatre jours après, il reprit ses sens, il était soigné par une jeune fille

C’était une enfant blonde, un souriant sauveur
Resplendissante et pure en sa beauté première;
Ses yeux bleux débordaient d’une douce lumière;
Ses lèvres de corail plus riches de saveur
Que nos fruits odorants humuseté de rosée
Brillaient comme une fleur sur l’hermine posée.

Elle était la fille d’un héros, mort au champs d’honneur.  Elle vivait avec sa mère et n’avait jamais connu l’amour.  Quand un soir, elles recueillirent Argan blessé sur le pavé, Eva se sentit attirée par cet homme étrangement beau et décida de s’attacher à ses pas pour le meilleur et pour le pire.  “Mais aussitôt qu’Argan avait repris ses sens”, il devina, il comprit.  Encore convalescent, il manda son domestique et se fit transporter chez lui.  Rétabli, il rendit visite à ses bienfaitrices, leur offrit des présents royaux les revit même plusieurs fois dans la suite.  Un jour, il partit sans laisser de trace.

La mère d’Eva mourut.  La jeune fille orpheline et amoureuse déçue demeura seule et tremblante dans les bras de la vie.

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