mercredi 17 octobre 2012

LITTÉRATURE HAÏTIENNE - 19e partie


Le corsaire solitaire

Le récit reprend quelques temps plus tard, sans transition, à St-Domingue, colonie française qui deviendra Haïti, en 1804.  Tandis que le poète entonne un hymne d’amour pour Haïti au nom glorieux et retrace en des vers magnifiques le passé extraordinaire de cette île aux

.....sommets azurés pleins d’ombre et de murmures
Où le printemps frémit dans les fortes ramures!

Voici qu’avance un navire tout blanc, surmonté d’un drapeau noir : “Le Fantôme” Il “sillone la mer comme une île de glace où perche un oiseau noir, l’aile pendante et lasse....”.  Son propriétaire? C’est celui qu’on flatte, qu’on admire et qu’on craint.  La terreur des rois d’Espagne.  Un corsaire!  Argan.  Puissant comme un roi, il répand l’effroi, le sang, la flamme et l’or.  Audacieux, riche et brave, il a tout le monde à ses pieds.

Et voici, que sur la plage, un enfant aux boucles blonds, rêve de devenir mousse à bord du Fantôme, de se mettre au service de ce maître tant redouté. Il se présente à bord et demande à voir le commandant.  Il dit s’appeler Jean. C’est un nom d’emprunt.  Il est bien obliger d’en cacher le véritable auquel s’attache un grand drame.  Il est orphelin et hait le monde comme le capitaine.

Loin de mille ennemis tardent à me poursuivre
Mon coeur abandonné vient aspirer à vivre
Peut-être à vos genoux, dans les luttes, la paix
Et cette liberté qui déserte la terre
Et l’oubli viendra-t-il consoler ma misère?

Argan l’accepte à son bord, mais lui promet une mort prompte s’il est un traite.

La sacrifice

Les jours passent.  L’écumeur des mers reprend le large avec son équipage.  Jean s’attache chaque jour davantage aux pas d’Argan. À l’ombre mystérieux de cet homme, il mêlait son sourire, son humilité, la douce lumière de ses yeux.

Argan est resté ce même homme qu’on a connu à Paris, ennemi du genre humain et cherchant à tout prix la solitude, quoiqu’il en souffre.

Seul....Avez-vous compris l’horreur de ce mot?
Je le suis, je dois l’être et c’est là ma misère!

Il finit par prendre en sympathie en mouche Jean et lui fait des confidences émues sur son passé, sur sa vie présente.  Il n’a jamais rencontré son image en quelqu’un.  La mer est sa seule amie.

Le fiel est devenu ma substance, la haine
Est ma vie, et la nuit de mon coeur, mon domaine
Je me creuse un abime où je meurs lentement!

Dans ce tête à tête, il essaie de convaincre Jean de laisser le Fantôme où il mène une vie d’enfer trop démoralisante pour son âge et d’aller tenter fortune ailleurs.  Jean refuse. Il est lié au capitaine pour la vie, pour la mort.

En haute mer, le Fantôme est attaqué par des navires espagnols.  C’est un véritable carnage.  Soldats et matelots semblent des spectres noirs dansant dans un cratère.  Le Fantôme sort victorieux.  Dans le camp ennemi, un seul survivant.  Argan lui laisse la vie sauve et lui demande de se rendre au nom de tous les siens.  Rugissant de honte et de colère l’espagnol fond sur Argan avec son épée. Jean se précipite entre eux, reçoit un coup mortel et s’affaisse.  Le capitaine le transporte dans sa cabine pour le soigner.

Il couche le blessé, découvre sa poitrine....
Des lèvres du corsaire, un cri d’étonnement
Soudain s’échappe... Il voit une femme, une vierge

Elle se remue et entrouve les yeux.  Rougissante et ravie, avant de rendre le dernier soupir, elle avoue à Argan silencieux et muet : “Je suis Eva....Je t’aime....”

Le Fantôme brûle.

“Dans les vapeurs de l’incendie, Argan
Fruit lentement; au loin, une marque l’emporte.
Il baise le cercueil où repose la morte

Commentaires

L’homme ne peut vivre indéfiniment dans la solitude.  Il fuit le monde, mais des raisons de coeur l’y ramène souvent.  Jean-Eva est un symbole.  L’homme n’est pas un éternel abandonné, un éternel mutilé. Il nie la civilisation, il nie l’amour, il nie les bontés transcendantes de l’homme, mais tôt ou tard il doit reviser son son jugement.  Le baiser d’Argan à la morte ainsi que la pensée de l’Abbé Prévost placée en exergue au début du poème (On ne ferait pas une divinité de l’Amour s’il n’opérait souvent des prodiges: extrait de Manon Lescaut) sont là pour convaincre le lecteur que le sacrifice d’Eva n’est pas inutile.  Argan le monstre marin est redevenu un homme.

L’histoire et la morale de Le Flibustier retiennent l’attention.  Elle nous aide à cheminer avec Vilaire dans sa quête de l’homme et nous associent à son aventure philosophique. Mais on ne saurait passer sous silence l’imagination extraordinaire de Vilaire qui s’enfle avec ... pour nous peindre dans des sixtains remarquables les pourpres du couchant, la douceur des nuits tropicales, les flots rassérénés après le passage de l’ouragan dévastrice, la majesté de la mer aux crêtes moutonnées, la liberté qui trouva son berceau à St-Domingue la belle, la civilisation occidentale qui révèle sur sa face voilée toute l’horreur du monde.  Vilaire est un grand poète qui sait camper un navire Fantôme étrange et mystérieux, un capitaine corsaire froid, irraciscible, impénitent, l’amour qui use de subterfuge pour vivre la loi de l’abégation du silence et du sacrifice.

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