mardi 9 octobre 2012

LITTÉRATURE HAÏTIENNE - 15e partie


GEORGES SYLVAIN ÉCLECTIQUE

L’ÉCRIVAIN PATRIOTIQUE

Pour répéter le Dr Jean Price Mars : après 1915, “Georges Sylvain fut un moment de la conscience nationale”.  Il se dressa contre l’occupation américaine de son pays et combattit comme nous l’avons vu par les actes, la plume et la parole.

Il écrivit à cette époque des poèmes qui témoignent de son état d’esprit.  Dans le feu de l’action, il rejoint l’auteur des POÉSIES NATIONALES.  Il lui manque sans doute le souffle puissant du barde Coicou, mais c’est le même élan de ferveur, la même indignation non contenue en face du territoire souillé par les bottes yankees, la même foi en des lendemains meilleurs.  Voici quelques vers de son ODE À LA DÉLIVRANCE :

Haïti lève toi!  Le monstre qui t’entraine 
Vers l’abime, la honte et le deuil aura peur
S’il voit se soulever la conscience humaine!
Fais frissonner le monde à tes cris de douleur!...

C’est dans le contexte de cette lutte qu’il faut placer son poème créole, DRAPEAU NOUS mis en musique par Alain Clérié.

Il était pour une lutte pacifique.  Conférencier infatigable, en une semaine, il touchait le nord et le sud du pays, sur des routes défoncées, pour rendre plus vivante, plus active l’UNION PATRIOTIQUE qui avait pour but essentielle de travailler à lever les restrictions mises par les États-Unis en plein exercice de l’indépendance et de la souveraineté de notre Nation”. (Georges Sylvain : “Dix années de lutte, tome I, page 38)

Il avait foi et surtout du coeur à l’ouvrage: “C’est dit=il, un commun propos qu’un nation ne meurt que quand elle cesse de vouloir vivre.  Nous qui voulons que notre Haïti vive, nous ne pouvons nous désintéresser de la lutte pacifique qui se livre en cemoment autour de la nationalité haïtienne c’est notre intérêt et c’est notre bonheur d’y participer....

.... “triompher dans une lutte, quelle qu’elle soit, il faut avoir l’âme d’un combattant.  Et d’abord croire, croire en la bonté de sa cause, croire en la victime croire en ceux qui mènent l’action.  Sans quoi l’on est vaincu d’avance” (Dix années de lutte pour la liberté, tome II, page 50).

Ainsi à partir de l’occupation américaine, Sylvain devint plus qu’avant, un homme responsable.  “Dix années de lutte.... retrace l’histoire d’un patriote fier et décidé.  D’un nationaliste lucide et courageux. Politquement, Sylvain est de son temps. Ses esprits qui datent de 1915 sont d’un homme à qui les dangers de la patrie ont obligé à sauvegarder l’héritage des aieux.

ART DE GEORGES SYLVAIN

Son inspiration

Sylvain est de l’École éclectique.  Son inspiration suit l’influence des classiques du 17ième siècle (de la Fontaine en particulier) des romantiques des passions et des symbolistes du 19ième siècle français.

Sa rupture avec les patriotes et les nationaux est plutôt théorique. Sinon, il serait difficile de classer les poèmes du temps de l’occupation et les fables de Cric-Crac.  Ces textes sont sa contribution à cette littérature autonome qu’il voudrait être une branche détachée du vieux tronc gaulois...


Il est autant poète des ensembles colorés, des tableaux ou des paysages aux teintes contractés, qu’impressiste en temps qu’esthétique de la sensation.  Il recherche la sensation musicale et tente après Verlaine de “reprendre à la musique son bien” (la Valse des fiancés).

Georges Sylvain est inspiré par tout ce qu’il ressent aux hasards des rencontres, des voyages, des malheurs et des succès de sa vie.  Pas de thèmes préférés et consacrés.  Sa sensibilité s’exprime à propos de tout et de rien.  Même quand, après 1915, il chantera les thèmes plus graves sa poésie demeurera intime et personnelle.

Son Art

Ne demandez pas au poète Sylvain des envolées lyriques.  “Son style n’est pas surchargé de panache...” (E. Vilaire). C’est un poète sensible, à l’imagination toujours en éveil qui use d’un langage poétique riche d’harmonie.

La sensibilité avec Sylvain est un élargissement de tout l’être.  Sa poésie est une communication directe d’une sensibilité à une autre sensibilité.  Il s’émeut au contact des beautés de la nature et trouve pour exprimer ses états d’âme des mots de tous les jours qui prennent une résonnance paticulière.

Éclectique, il exploite les expériences passées.  Il refait des poèmes de Verlaine, de Baudelaire, de Gauthier.  Il s’inspire à l’occasion de Coriolan Ardouin, d’Ignace Nau, d’O.  Durand ou de Tertulien Guilbaud.  Et c’est son imagination riche et pittoresque qui cautionne toujours le miracle d’originalité. Voyez dans Cric-Crac comment sa langue, son style, ses modèles s’éloignent de ceux du fabuliste français.

À partir d’un rien, il peut récréer. Ses modèles, il ne les limite pas vraiment. Ils sont pour lui des sources.

À l’analyse, sa sensibilité est inséparable de son imagination.  L’une enrichit l’autre.

Souvent, Sylvain n’aime pas les mots pour eux-mêmes, il les convie à exprimer ses sentiments.  Et parce qu’il est romantique et symboliste, son langage est imagé, suggestif, riche de sens et de rythmes. Il a pratiqué l’alexandrin avec prédilection et le dialogue à l’occasion pour en tirer des effets les plus divers.

D’autres fois, humaniste admirateur des grecs, des latins et des classiques, il est pour la beauté plastique.  Il est partisan de l’art pour l’art et c’est là qu’il faut chercher le secret de ses rimes souvent hautaines et superbes.  Comme l’un de ses modèles Théophile Gauthier, il pense que l’artiste ne connaît qu’un culte, celui de la beauté: Elle seule peut fixer son rêve et apaiser son inquiétude.  Elle seule est éternelle”  Et pour conquérir cette beauté, Sylvain travaille sa forme, fait des recherches techniques, bannit la facilité, soigne sa rime “choisit des sonorités évocatrices, transpose les sensations visuelles en impressions musicales”.

Faut-il souligner que, comme dans les autres écoles, Sylvain n’a pris du parnasse que l’essentiel.  Sinon, il négligerait dans ses écrits les grands problèmes humains, et il ne serait pas cet écrivain engagé que nous avons découvert, surotut après 1915.

CONCLUSION

Souvent, on présente Georges Sylvain comme une dilettante, un esthète épris d’art pur, de sensation exquise et de raffinements précieux.  C’est une opinion discutable.  Comme le prouve l’analyse de sa vie et de son oeuvre.  Sylvain est un poète qui se cherche et qui projette dans ses écrits un paysage intérieur où passent se bousculant et s’enchevêtrant sa quête de sincérité et d’honnêteté, sa soif d’affection son besoin de bonheur collectif et les multiples points d’interrogation que posent à son attention une société en proie à l’incompréhenson des uns et des autres.

L’art de Georges Sylvain est le reflet de sa vaste culture, et de son agitation intérieure tempérée par son sens de la mesure et de la discrétion.

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