dimanche 3 mars 2013

MALLARMÉ : L’HOMME, LE POÈTE


MALLARMÉ : L’HOMME, LE POÈTE

Le poète Paul Fort qualifie la poésie de Mallarmé “d’énigmes lyriques” ou de “poésie pure”.  Il la compare à Verlaine qui fut si différent de lui, mais, comme lui, fut un initiateur du symbolisme.

Les deux poètes s’aimaient et ne se ressemblaient pas.  Autant la vie de l’un fut agitée et désordonnée, autant celle de l’autre fut calme et régulière.  Et quelle différence avec Rimbaud!  Chez le tumultueux auteur du Bateau Ivre, la floraison poétique n’a été qu’un accident, une sorte de crise de croissance.  Chez Mallarmé, elle est l’homme tout entier.  Ce maître du symbolisme est lui-même un symbole; il est l’image de l’art pur s’isolant de tout élément étranger et s’enfermant jalousement en lui-même, dans l’immuable et solitaire sérénité, comme dans un temple clos au profane.

Et de nous donner ce portrait tracé par Catulle Mendès qui accueillit à Paris le poète alors inconnu:

“Mallarmé était chétif, avec sur sa face à la fois stricte et plaintive, douce dans l’amertume, des ravages de détresse et de déception.  Il avait de toutes petites mains de femmelette et un dandysme (un peu cassant et cassé) de gestes. Mais ses yeux montraient la pureté des tout petits enfants, pureté de lointaines transparences, et sa voix, avec un peu de fait exprès dans la fluidité de l’accentuation, caressait.  D’un air de n’attacher aucune importance aux choses tristes qu’il disait, qu’il avait assez longtemps vécu très malheureux à Londres, pauvre professeur  de Français, qu’il avait beaucoup souffert dans l’énorme ville indifférente de l’isolement et de la pénurie, et d’une maladie comme de longueur, qui l’avait, pour un temps, rendu incapable d’application intellectuelle et de volonté littéraire, puis il me donna ses vers à lire.”

Ces vers enchantèrent Mendès, et la preuve, c’est que son parnasse contemporain inséra la plupart des poèmes dont se compose la première manière de Mallarmé : les Fenêtres, les Fleurs, Renouveau, Angoisse, Las d’un amer repos, Le semeur, Tristesse d’été, l’Azur, Brise marine, Soupir, Automne.

Ces poèmes sont clairs-obscurs, déchiffrables en tout cas pour un esprit cultivé et intuitif. Leur forme solidement parnassienne les enserre, les arque en une attitude raidie, où l’on sent parfois la contrainte qui souffre, mais soulagée par la puissance qui dompte.  Ils montrent une subtile recherche de mots et de sensations choisis.  Par la vive coruscation des images, ils rappellent Victor Hugo; par la pensée Baudelaine, l’impuissance, la stérilité, le dégoût de la vie médiocre, la nostalgie d’un monde prestigieux, impossible à atteindre, tels sont, en effet, les tourmenteurs habituels de Mallarmé, et il les évoque sans cesse, comme s’il prenait une sorte de volupté douloureuse et raffinée à en souffrir....il faut remarquer surtout le procédé elliptique qui va devenir la marque la plus originale de Mallarmé.  Ce procédé est saisissant dans les deux vers :

Un Ennui, désolé pour les cruels espoirs,
Croit encore à l’adieu suprême des mouchoirs.

Pour dire à peu près tout ce que ces deux vers veulent faire entendre, il nous faudrait, en mauvaise et traînante prose, une longue phrase comme celle-ci:

Dans mon ennui, que l’espoir d’une vie moins monotone leurre, tourmente et désole cruellement, car cet espoir n’est suivi par rien qu’une déception continuelle, dans mon ennui qui me blase et me fait tout dédaigner, tout nier, même les plus pures émotions du coeur, je crois encore que, moi-même et les être aimés qu’en m’éloignant je laisserai au rivage, nous serons, quand le vaisseau m’emportera et qu’ils agiteront leurs mouchoirs en signe d’adieu, saisir d’une émotion suprême, qui comme un divin miracle, enchantera, libèrera de son poids cet ennui lourd et monotone.
Comptons les mots de la traduction que nous venons d’écrire; elle en a 105. Les vers qu’elle explique en ont 15 à eux deux. Notre poète sait qu’une pensée, un sentiment, est comme un projectile, qui frappe et pénètre d’autant mieux qu’il est plus rapide.  Aussi, Mallarmé abrège la distance, supprime des mots, lance en éclair l’essentiel, sous-entend tout ce qui serait définition, description, et tant pis si, entre lui et le but qu’il vise, il y a un vide. Il ne va pas le franchir, non, il l’élude, il l’élide.

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